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Le voyage en Europe

 

Ce difficile voyage en Europe du 3 au 11 septembre 2020 fut à bien des égards un exploit. Je n’aurais jamais pu imaginer, lorsqu’il y a un an je décidai de voir de plus près les tribunaux anglais ou Julian Assange devait comparaitre, que l’année d’après je parcourrai les familières routes de l’Europe dans une atmosphère d’apocalypse sanitaire, de tension politique intense et de destruction d’un mode de vie, de valeurs, de systèmes juridiques, de tout ce qui a fait notre culture. Je suis obligée de placer le procès de Julian Assange dans ce contexte de cette forme de suicide collectif de nos sociétés qu’est en réalité la « crise du coronavirus » et de lier les deux phénomènes, même si certains penseront que c’est exagéré, et que la persécution d’un homme innocent n’a rien à voir avec l’ambiance sourde de peur dans laquelle nous sommes des millions à vivre depuis 6 mois. Tant pis. Ceci est ma vision et mon analyse. Le peu de liberté d’expression qui nous reste, je l’utilise pleinement et sans masque avant qu’ils ne soient en mesure de nous bâillonner et nous enfermer pour de bon.

 

Je quittais la France avec soulagement le 3 septembre en ayant l’impression, pour la première fois de ma vie, que le pays ou j’ai choisi de vivre il y a 28 ans s’est transformé en hôpital psychiatrique à ciel ouvert. Le cynisme des politiques disputait la palme du prix de la violence avec une hideuse dictature policière et hygiéniste imposée à coup de décrets illégaux par des préfets autoritaires dans la plus pure tradition de Vichy. L’Occident a déjà connu beaucoup de périodes de folie – la dernière et la plus destructrice fut la folie collective du fascisme et de la guerre des années 1930 et 40, mais 1914 -18 comme suicide collectif de la culture européenne fut marquant également. On a accusé les Yougoslaves des années 1990-98 de « suicider leur Nation », mais les Occidentaux d’aujourd’hui ne peuvent plus servir de modèle de démocratie et de raison pour personne ! La date fixée pour le lancement du jugement de Julian Assange m’a frappée, le 7 septembre 2020 étant le septembre 2020, jour du 80 anniversaire du début du « Blitz » - l’opération « Seelöwe », invasion programmée de la Grande Bretagne par Hitler, remplacée in extremis par 57 jours et nuits de bombardements continus des maisons et des usines britanniques par l’aviation nazie. Cette date est aussi le symbole de la Résistance du peuple anglais au fascisme, et le début de la fin de la marche victorieuse du nazisme allemand sur l’Europe. Si les élites britanniques ont décidé de jeter un voile d’oubli sur cette date, elle ne m’a néanmoins pas échappé grâce à des auteurs comme Joshua Levine i .

 

Imposition du masque obligatoire partout dans les rues, les parcs, les jardins, les champs de la banlieue, les bureaux, les ateliers, les transports, les magasins, les rares lieux culturels et sociaux encore résistants… 22H sur 24 pour de nombreux prolétaires. Port du masque muselière empêchant de respirer et de s’exprimer pour tous les enfants et les jeunes de France, chicanes et punitions pour ceux qui demandent à avoir leur mot à dire. Des enfants exclus des école pour cause de pseudo tests covid, privés d’éducation suite à de fermetures d’école complètement illégales aux regards de la Convention de l’ONU des Droits de l’Enfant sans parler de notre Constitution et autres textes fondamentaux… Interdiction policière des rassemblements et manifestations. Paris ville vide à nouveau, car personne n’a envie de se promener avec la muselière la peur au ventre de voir les flics débouler pour te coller une amende pour physique non adéquat. Les bars du bord de Seine de nouveau vides de jeunes alors même que ce sont les rares lieux ou on peut enlever pour 1 heure ou 2 notre symbole de soumission à Macron et à l’idéologie covidienne. Comment tuer économiquement, socialement et politiquement une ville, une nation, un pays. Je sentais l’ambiance lourde de menaces policières et je me réjouissais à l’idée de m’aérer ailleurs. Mais je n’avais pas encore vu l’état réel de l’Europe…

 

L’Allemagne décrète l’embargo sur la France

 

La veille de mon départ je consulte le site de l’ambassade allemande en France et j’ai la désagréable surprise de lire que notre puissant voisin a décrété la France zone pestiférée et imposé une quarantaine aux voyageurs venant de l’Ile de France, du Midi et des Antilles. Comment les Allemands comptent ils vérifier qui vient d’où sachant que les transports collectifs (trains et bus) pour chez eux partent de Paris ? Le site du gouvernement allemand ne fournit pas de détails. Comme toujours dans l’affaire du covid le discours médiatique et la violence réelle de la police tiennent lieu de Loi, l’Etat de droit a été relégué dans nos pays au rang de souvenir des « temps anciens » par opposition au « Nouveau Monde » que la gauche espère toujours voir naitre spontanément comme enfant de la « crise du covid ».

 

La réponse m’est donnée le lendemain dans la lourde atmosphère de cris, d’insultes et de tension qui règne à la gare low cost de Bercy désormais dans les mains de l’entreprise monopoliste allemande Flixbus. 25 personnes attendent de pouvoir monter dans le Paris-Berlin, dans la saleté d’une gare jamais nettoyée et en étouffant sous le masque obligatoire obstruant les voies respiratoires, alors que les deux chauffeurs de bus polonais leur crient directives et menaces dans un mauvais Anglais. Nous attendons une heure debout comme un bétail docile qui ne sait pas à quelle sauce il va être mangé. Les chauffeurs nous interdisent de mettre nos sacs dans la bagagerie du bus car à cause de nouvelles « mesures » de l’Allemagne déclarant la France « zone rouge » nous devons d’abord montrer nos papier d’identité aux chauffeurs et remplir une curieuse attestation « Passenger Locator Card ». Cette feuille de papier A4 parle de « special rules » (normes spéciales) qui s’appliquent désormais aux voyageurs de France déclarée « high risk area» (zone à haut risque) par les « autorités de l’Allemagne » (qui ?). Nous devons remplir le formulaire car omettre ou cacher des informations peut être puni d’une « amende de 25 000 Euros ». Le formulaire exige de savoir d’où nous venons, nos noms et dates de naissances, notre nationalité, notre numéro de téléphone, l’adresse ou nous allons rester et les adresses ou nous voilons nous rendre les 14 jours prochains. En bas je distingue un questionnaire de « santé covid » - avez-vous de la fièvre, de la toux, perte de gout et d’odorat. La dernière question exige de savoir si on a eu le test du covid, quel a été son résultat et dans quel pays il a été fait !

 

Les gens sont comme sonnés par la violence de la charge, pressentant l’illégalité monstrueuse de la chose, mais ne pouvant se défendre car otage de la firme Flixbus qui peut leur refuser de voyager. Un homme néanmoins proteste qu’il a payé son billet et qu’il n’est pas question qu’il ne monte pas dans le bus. Les deux chauffeurs polonais, un homme et une femme, sont visiblement terrorisés eux-mêmes mais remplissent leur rôle de kapos en criant violemment sur l’homme, en appelant des agents de sécurité privés de la gare et en menaçant que la « Polizei » va s’occuper de lui à Berlin s’il ne remplit par le formulaire. Je suis très inquiète et excédée , d’autant plus qu’une Ukrainienne mal élevée me pousse dans le dos pour me passer devant. Mais je calme le jeu en parlant doucement en Polonais aux deux chauffeurs. Mes mots amènent un peu d’humanité dans cette folie et la femme finit par faire son job et enregistrer les voyageurs, leur bagages et les installer dans le bus. Elle finit par nous faire remplir les formulaires et nous les prend des mains (je ne remplis pas les adresses et ni la partie « avez-vous eu le covid ». Après tout j’ai acheté un billet pour la Pologne, l’Allemagne n’est qu’un transit). Nous partons soulagés. Alors que Flixbus a condamné les toilettes pour cause de « coronavirus », le chauffeur polonais finit par se comporter en vrai professionnel : il sait qu’ils transportent des humains et pas une cargaison de bétail dans un wagon plombé sur 1300 km du Paris-Berlin. Une fois loin de Bercy, il ouvre la porte des toilettes pour nous permettre de les utiliser. Il s’arrête même dans la nuit sur une aire d’autoroute pour une pause interdite par son employeur. Tous les masques tombent au cours de la nuit, et je suis soulagée de voir le visage marquée mais humain de la femme chauffeur si stressée.

 

Violations des Droits en Europe

 

J’examine alors le formulaire de Flixbus et toutes les violations des lois me sautent aux yeux immédiatement. Le formulaire ne mentionne aucune institution : quelle institution a décrété en Allemagne la France « high risk zone » ? Sur quelle base légale ? Un décret ? Une Loi ? Une circulaire ? On n’a pas le droit de menacer les gens de punition ni d’amende simplement comme ça sur une feuille de papier sans aucun en tête d’institution publique et de faire porter la responsabilité des menaces aux employés de l’entreprise privée, ici Flixbus. Flixbus en tant qu’entreprise privée se rend coupable de nombreuses violations de droits en obligeant ces clients à lui fournir des informations aussi sensibles que l’état de santé de ses clients (« avez-vous eu de la toux, de la fièvre, aves vous fait le test covid et quel a été le résultat » ?), leurs adresses de résidences dans plusieurs pays, leurs numéros de téléphone. Je soupçonne que la « Polizei » qui sert d’épouvantail est un storytelling destiné à nous faire peur, comme souvent aussi bien dans l’affaire Assange que dans l’affaire du Covid. En effet, nous passons la frontière sans aucun contrôle de la police aux frontières qui elle n’a pas l’air d’avoir envie de participer des mesures arbitraires de la folie « covidienne». Elle laisse cela aux employés de Flixbus…

 

Nous avons deux heures de retard lorsque nous arrivons à Berlin le lendemain matin. Il ne me reste qu’une heure pour mon bus pour la Pologne. Mais alors que nous arrivons au ZOB «(Zentraler Omnibus Banhof), un événement inquiétant se produit : le bus rentre dans le parking de la gare, tourne un peu puis ressort. Les voyageurs se lèvent de leur siège inquiets : où sommes-nous donc conduits, enfermés que nous sommes dans cette boite de métal ?

 

Le bus contourne l’espace du ZOB et apparait alors un espèce de « camp » composé de tentes blanches derrière des barrières de sécurité gardées par des hommes en uniforme.Plus tard je verrai que le camp était estampillé « Deutsches Rotes Kreuz », Croix Rouge allemande. Le bus cale devant le camp sans cependant ouvrir la porte et les « policiers » s’approchent. Les voyageurs ont un mouvement de panique. La chauffeur polonaise a peur. Elle lâche « Polizei Polizei », crie que nous n’allons pas sortir si nous n’obéissons pas et si nous ne faisons pas le test du covid, tout en nous redistribuant les fameux formulaires. En fait de police, ce sont des agents de sécurité privés, des migrants visiblement. Je me tourne vers la chauffeur et je lui dis en Polonais que je ne vais pas en Allemagne mais en Pologne et qu’en l’occurrence forcer les gens à faire un test médical est illégal. Son collègue ouvre alors la portière et tout va très vite. Je sors la première et je cours vers l’agent de sécurité privé. Je lui crie en Allemand, mon billet à la main « Je ne vais pas en Allemagne mais en Pologne, mon bus part tout de suite ! » Il me regarde dans les yeux et il a compris que j’ai compris : « prends tes bagages et sauves toi» me crie-t-il. Je ne demande pas mon reste, j’attrape mon sac à dos et je cours de toutes mes forces pour mettre le plus possible de distance entre moi et le bus. Je rentre dans le parking du ZOB en courant. Un homme s’approche alors de moi et me demande si je « viens de Paris ». Je prends peur qu’il ne soit un flic en civil et je dis « nein » ! A tout prix ne pas être identifiée à la France, le pays des pestiférés !

 

Je ne peux me reposer que quand je constate que la vie se déroule à peu près normalement dans cette grande gare de la capitale de l’Allemagne. Quasiment pas de masques, sauf dans les bus au moment de monter, une pizzeria qui fonctionne, des voyageurs qui se comportent normalement, loin de la folie dans laquelle nous vivons depuis 6 mois en France. Le bus pour la Pologne est presque vide, le chauffeur est détendu. Une co-voyageuse polonaise de 70 ans me raconte sa vie dans la ville de Police, grande ville industrielle de la banlieue de Szczecin, haut lieu d’industrie chimique construite par la Pologne Populaire et privatisée au profit des oligarques allemands. Elle me raconte que sa famille de « l’est », les territoires ukrainiens, ont reconstruit la ville des ruines, mais aussi utilisé les maisons et objets des anciens habitants allemands chassés par les décisions alliés de Potsdam. En une heure j’ai droit à une belle réflexion humaniste sur la folie de la guerre, ceux qui en ont souffert de part et d’autre de la frontière germano-polonaise désormais sur l’Oder et sur la réconciliation entre les peuples. Elle est fière de me raconter son histoire d’ouvrière polonaise et aussi de se dire « anticléricale » en m’annonçant le mariage non religieux de sa fille, ce qui pour une Polonaise est une marque importante de convictions de gauche. La Pologne telle que cette femme me présente me remplit de bonheur et d’amour. C’est cette Pologne que j’aimerais voir revivre dans la liberté et la dignité.

 

Nous nous trouvons dans une phase aigüe de la lutte – la dictature qui s’abat sur la vie personnelle de chacun fait qu’il n’est plus possible de fermer les yeux sur ce visage hideux du capitalisme. Les groupes polonais sur Facebook « Stop à la dictature sanitaire » et « Commission d’enquête sur les abus de la dictature sanitaire » comptent des dizaines de milliers de Polonais qui s’éveillent brusquement à la vie citoyenne lorsqu’ils découvrent que les restes de leurs libertés personnelles sont abolis, que des gens meurent devant la porte des hôpitaux publics car les médecins refusent de les soigner « sans test covid rien n’est possible », que des enfant subissent des maltraitances et même tortures de la part des directeurs d’écoles quand ils ne supportent plus le masques 8 heures par jour. Des enfants sont aussi déjà exclus des écoles immédiatement pour non-port du masque. Les parents polonais doivent accepter que leurs enfants leurs soient enlevés et placés dans des « institutions » s’ils ont une fièvre ou un rhume… ou sont privés d’école, grave violation de la Convention des Droits de l’Enfant de l’ONU. Brusquement les citoyens, privés de droits citoyens se trouvent confronté à la nécessité de lutter pour cette citoyenneté et la révolte européenne à Berlin le 29 août dernier fut le coup d’envoi de cette insurrection.

 

Justement le formulaire obligatoire de Flixbus viole plusieurs droits garantis par la Charte Européenne des Droits Fondamentaux : l’article 3 qui garantit le droit à l’intégrité et notamment le « consentement libre et éclairé » de la personne « dans le cadre de la médecine et de la biologie », l’article 6 garantissant « la liberté » - (que dire d’une pratique consistant à amener des personne captives dans une boite de métal pour un test forcé autre que c’est une privation de liberté ?). Ensuite vient l’article 45 garantissant « le droit de circuler et de séjourner librement dans l’espace de l’Union » et enfin, l’important article 8 sur la « protection des données personnelles » stipulant que la récolte des données personnels ne peut se faire que dans le cadre de la Loi et sur la base du consentement de la personne et avec garantie d’accès à ces données ii . Flixbus n’a absolument AUCUN droit de rassembler en tant qu’entreprise privés ces données personnelles sur la santé et les lieu de circulation des citoyens voyageant dans l’UE. Mais il y a tellement de Droits Fondamentaux Humains violés depuis la privation de liberté de 400 millions d’Européens appelée « confinement » par la propagande covidienne que toutes les digues entre démocratie et dictature sautent facilement… De même ces pratiques arbitraires violent les articles 3 de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (droit à la liberté), l’article 13 (droit à la liberté de circulation), l’article 12 (protection de la vie privée) iii . Même le Traité de Lisbonne que nous avons tant critiqué à gauche est allègrement violé, notamment l’article 2 assurant « la libre circulation des personnes » iv ! Le Pacte des Nations Unies relatifs aux Droits Politiques et Civils a été également violé par la politique de l’enfermement pseudo sanitaire des population (article 12 garantissant la liberté de circulation dans le cadre de son pays) tandis que les tests covid obligatoires violent l’article 7 du Pacte « En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique ». De plus, si le Pacte permet des dérogations exceptionnelles en cas de menace « grave sur la vie de la Nation », elles ne peuvent être que limitées dans le temps et surtout ne concernent pas des articles aussi fondamentaux que l’interdiction d’expériences médicales…

 

Il faut aussi souligner combien la politique d’embargo à laquelle l’Allemagne soumet la France avec le pseudo argument sanitaire est aussi une violation de l’égalité entre les Etats censés être garantie par les Traités Européens… Le peuple français est présenté par la propagande des Etats puissants tels l’Allemagne comme dangereux pour la « santé » de l’Europe comme s’il était porteur de la maladie contagieuse de la révolte ! En septembre 2020 plane sur l’Europe le spectre du système de Vienne de 1815 quand les royaumes réactionnaires se sont ligués pendant 100 ans pour isoler la France coupable de Révolution ! Dans cette ambiance de folie il n’est pas étonnant que la ville de Szczecin, anciennement grand port industriel, maintenant enclavée et décrépie, m’a semblé ce 4 septembre 2020 un havre de paix. Je n’oubliais pas pourtant que les seules protestations lors de la fermeture de toute l’Europe en mars et avril ont eu lieu justement ici : dans les villes de la frontières germano-polonaises, des citoyens désespérés ont bravé la police dans des manifestations interdites car la fermeture de la frontière avait privé ces travailleurs transfrontaliers de moyens de subsistance. Priver l’humain de moyen de subsistance : encore une violation de la Déclaration Universelle des Droits de l’Hommes dont les articles 23 et 25 garantissent le droit au travail et le droit à un revenu décent !

 

La Fin de l’Etat de droit en Europe ?

 

Devant tant d’arbitraire je n’étais pas du tout assurée de pouvoir retraverser l’Europe du Nord et arriver en Angleterre pour le procès de Julian Assange alors que je quittais Szczecin accompagnée de la militante de gauche polonaise Basia W.. La route familière Pologne- Allemagne- Pays Bas- Belgique- France que je connais par cœur depuis que je suis née m’a paru brusquement jalonnée d’embuches et de dangers. Avant de partir nous remplissons le formulaire obligatoire pour rentrer en Grande Bretagne comportant nos numéros de téléphone, nos adresses de résidence et de séjour et les numéros de proches « à contacter si jamais vous avez contaminé quelqu’un avec le coronavirus » alors même que nous ne sommes pas en tant que Polonaises soumise à la quarantaine.

 

Si le trajet Szczecin-Berlin a été sans problème, Berlin sans touristes, restaurants vides un samedi soir du premier week-end de septembre m’a paru étrange et sinistre. Les habitants, même révoltés, même libre de masque dans la rue, même sans les annonces alarmistes dans les transports (« contre le coronavirus ensemble restons mobilisés » du métro parisien font étrangement écho aux attentats terroristes de 1995), restent calfeutrés chez eux. Le bus Berlin- Rotterdam était donc presque vide aussi. Conduit par un chauffeur polonais effrayé comme ceux de la route Paris- Berlin , notre bus fut stoppé en rase campagne en pleine nuit par une voiture banalisée. Nous avons été sommés de sortir et alignés en rang par deux grands hommes blonds en civil et en armes comme les baqueux français . Dans cette ambiance angoissante nous ne savions même pas ou nous nous trouvions, en Allemagne ou aux Pays Bas. Les hommes, sans aucune insigne de police, (ils auraient pu très bien être des coupeurs de route ou des mafieux) interrogeaient les voyageurs sur leur lieu de destination à Rotterdam et sur les raisons de leur voyage et séjour. Arbitraire et totalement illégal, surtout qu’ils ne sont pas une Police des Frontières. Une mère de famille qui avait laissé ses trois petits enfants dans le bus est sommée de les extraire afin de les présenter aux « flics » à l’extérieur. Avant mon tour je demande au chauffeur polonais comment il a su que ceux qui lui ordonnent de s’arrêter en pleine nuit sont bien des policiers, car « ça fait peur de les voir comme ça vous arrêter sur la route». Le chauffeur désigna le panneau lumineux qui s’allumait à l’arrière de la voiture « police follow me », qui me parut bien léger comme signe de reconnaissance. Il ajoute : « Et encore, vous n’avez pas vu ce qu’ils sont capables de faire ! Lors de mon trajet précédent ils nous ont alignés avec les bagages comme pour nous fusiller » ! Le mot est prononcé, l’inquiétude monte. Ayant peut-être entendu cet échange, le baqueux hollandais entrouvre sa veste et apparait alors un un logo censé représenter son corps de police, mais toujours sans aucun numéro d’identification. Lorsque vint mon tour, l’homme vérifie ma carte d’identité polonaise, me demande ou j’habite et ou je vais et ce que je vais faire à Rotterdam. Rien, je vais à Londres chercher du travail, comme tant de migrants polonais. Et combien de temps allez-vous rester en Grande Bretagne ? Réponse de migrant : tant que durera le travail. Avec un tel interrogatoire, la liberté de circulation a bien cessé d’exister en Europe.

 

Dimanche matin la gare de Rotterdam, si proche du grand port qu’on entend les mouettes crier, a des allures de monstre de verre capitaliste. Elle ressemble au hideux quartier de Bruxelles ou sont concentrés les institutions de l’Union Européenne. Nous sommes pourtant heureuses de découvrir un café sans masques et sans folie hygiéniste: si la police néerlandaise protège son pays des intrus, c’est bien parce que les élites très mondialistes de ce pays ont la faculté de protéger leurs propres citoyens de la folie régnante ailleurs. Les gens vivent donc normalement aux Pays Bas et dans le Flixbus qui arrive deux heures plus tard pour nous emmener à Londres en passant par Lille et Calais l’atmosphère pesante et violente propre à la France et un peu à l’Allemagne s’est estompée. Seuls quelques jeunes font figure d’acharnés du masque mais il faut dire que justement, étant en pleine santé, ils ne se rendent pas encore compte à quelle contrainte ils soumettent leurs poumons en respirant sous le tissu de fibre synthétiques.

 

A Lille de nombreux voyageurs français montent dans le bus et nous voilà partis vers la dernière étape du trajet qui me semble la plus difficile : le passage à Calais devant la police britannique et française avant le tunnel de l’Eurostar. Depuis mes 14 voyages pour le procès de Julian Assange je connais les lieux, pourtant tout me parait bizarre depuis que l’hystérie autoritaire de la « coronaguerre ». Les policiers français heureusement ne font pas de zèle. Alors qu’ils sont jeunes, ils sont fatigués sous leur masques 8 heures par jour derrière leur guérite en verre et enlèvent leur accoutrement dès qu’une occasion se présente. Nous enlevons le nôtre pour leur présenter nos visages. Nous sommes comme les femmes saoudiennes qui gardent l’abaya noire en permanence mais doivent bien soulever un pan du « secret » pour montrer leur visage aux contrôle frontalier. Nous sommes fatigués de trainer nos bagages afin de le faire passer dans le scanner de contrôle. Puis nous remontons dans le bus et redescendons pour le contrôle anglais. Surprise. Le passage que j’ai tant redouté se déroule sans encombre : les policiers britanniques ne contrôlent pas du tout les fameuses attestations ! Même les voyageurs français en théorie soumis à la quarantaine ne sont pas inquiétés ! La fameuse quarantaine s’avère donc être un storytelling de plus ! La police britannique dit à ma collègue polonaise quelque chose sur la quarantaine qu’elle ne comprend pas bien mais le papier qu’elle lui remet renvoie au site internet https://visas-immigration.service.gov.uk/public-health-passenger-locator-formcomportant le formulaire que nous avons déjà rempli. Nous sommes donc en règle vis-à-vis de l’administration britannique. La suite du voyage se déroule sans problèmes, nous traversons le channel, roulons sur l’autoroute du Kent dans l’après midi et arrivons à Victoria Coach Station dans la soirée du dimanche 6 septembre.

 


La City of London Corporation n’est ni la ville de Londres ni la Grande Bretagne

Dans la soirée nous nous installons dans l’appartement loué dans le centre de Londres, non loin de la Old Bailey, le tribunal ou doit avoir lieu le procès et nous décidons de voir de quoi ont l’air les lieux. Il est plus de 21 heures lorsque nous nous faisons le tour de la Old Bailey : un énorme complexe de plusieurs bâtiments entourés de non moins imposants immeubles de bureaux de banques et autres entreprises sous lesquels se trouvent de profonds souterrains visibles aux immenses portes d’entrées de camion. La Old Bailey est ainsi composée d’un bâtiment du 19 siècle que jouxte un bunker austère des années 60. Il y donc déjà en façade deux porte d’entrées – celle du tribunal Central Criminal Court a l’air de recevoir des visiteurs car des barrières en délimitent l’entrée et une vitrine affiche les audiences de la journée du vendredi 4 septembre. Une porte cochère fermée barre la porte cochère du « Warwick passage », un passage qui mène à l’arrière de la Old Bailey.

Nous faisons le tour du pâté de maison, photographions une église du 17 siècle et la « Amen Court », un petit quartier de maison du 17 siècle qui ont survécu à l’arrière de la Cour aux bombardements nazis qui avaient sérieusement endommagé ce quartier central. Nous nous retrouvons aussi à l’arrière du complexe, à la sortie du « Passage Warwick » - le complexe de la Old Bailey se présente comme un immense complexe aux larges et hautes fenêtres, certaines peuvent être des appartements et non des bureaux. En effet, chose surprenante, cette nuit du dimanche il y a de la lumière dans les pièces du tribunal. Les deux derniers étages, 4 et 5 ème , sont même illuminés d’une étrange lumière bleutée . Derrière le bâtiment se trouve un petit square avec un banc, un parking ainsi que l’entrée principale des salariés du tribunal. En sortant du parking nous pouvons refaire le tour du complexe sur notre gauche et revenir vers la « Old Bailey » historique du 19 siècle avec sa haute tour et sa statue de la Justice au sommet. Nous longeons alors la « Maison de la guilde des Couteliers » du 17 siècle avec ses inscriptions en Français qui fait partie du complexe et un bâtiment moderne dans lequel se trouvaient encore en juillet les bureaux de Axa. Partout, à tous les coins du complexe, pas moins de 4 grandes portes cochères donnant sur des souterrains. Par laquelle Julian Assange sera-t-il amené au procès ? Nous ne pouvons pas le savoir et les avocats n’ont évidemment donné aucune indication. Nous photographions donc les lieux pour mieux nous préparer.

Au-dessus de toutes les portes se trouve le blason de la « City of London Corporation » - les deux lions ailés portant un casque au-dessus de la croix de Saint Georges rouge sur fond blanc. En effet, la City of London Corporation n’est pas la Ville Londres, c’est l’enclave historique des banquiers et marchands, leur fief plus ancien que l’Angleterre et plus ancien que le Royaume Uni. Julian Assange ne comparait pas ici devant un tribunal dépendant du ministère de la Justice britannique mais il est amené dans un lieu, un bâtiment appartenant à la City de Londres, la fameuse place forte des banquiers. Car même si la Central Criminal Court est effectivement un tribunal britannique qui siège dans ce lieu, Julian Assange ne va pas être jugé par les juges officiels de la Central Criminal Court. En réalité, dans la salle louée de la Old Bailey, nous ne sommes plus en territoire britannique. Nous sommes dans la City.

En effet, la Cour Criminel Old Bailey appartient à et dépend de la City of London Corporation. La City of London Corporation est le cœur historique de Londres depuis sa fondation par les Romains puis sous le règne des Anglo Saxons. Elle est une association privée de commerçant et de banquiers. Guillaume le Conquérant donne une série de privilèges à cette association appelée Cité de Londres, dont celui de pouvoir s’autoadministrer par Conseil des Sages « Le Court of Aldermen ». Son successeur choisit de construire sa capitale dans la commune de Westminster qui devient ainsi la nouvelle capitale, aujourd’hui la ville de Londres. La Cité de Londres, qui est une association d’affaires administrant un territoire, gagne en 1186 le privilège de choisir son maire le Lord Mayor of London.

Aujourd’hui le Lord Major of London est l’un des office électif les plus ancien au monde. Il représente les intérêts du secteur bancaire établi dans le territoire de la Cité de Londres et des quelques résidents. Il est de ce fait automatiquement Recteur de l’Université de Londres et Amiral du port de Londres ce qui lui donne un grand pouvoir indépendant du gouvernement de la Grande Bretagne. La Corporation est le pouvoir suprême de la City incluant les plus riches de la Cité (Court Aldermen) et le Mayor lui-même. Malgré le fait qu’il est censé faire allégeance au Couronne de Grande Bretagne, la cérémonie annuelle de Tempel Bar ou le Roi ou Reine doit attendre que le Mayor lui donne le droit d’entrer dans la Cité montre l’étendue de son pouvoir et prouve que la suzeraineté de la Reine d’Angleterre est purement symbolique. Le Gouvernement de Grande Bretagne ainsi que le Parlement du pays n’ont aucun pouvoir ni réel ni symbolique sur le territoire de la City of London Corporation.

La Cour Old Bailey est administrée par deux sheriff s représentant les guildes bancaires de la Cité. Le Major of the City of London est à la tête de l’administration de la Cour et il a la prérogative d’y siéger de droit également. L’administrateur de la Mansion House, le siège du Mayor of City of London, est aussi le responsable de la Central Criminal Court. Depuis 2017 le directeur exécutif de la Mansion House et de la Central Criminal Court est le financier Vic Annells. Le Mayor of City of London est actuellement Alderman William Russel un banquier de la banque américaine Meryll Linch. Les deux sheriffs élus en 2019 par leur pairs sont les banquier Alderman Michael Mainelli a été manager pour les fonds d’investissement anglo-américain de la City, pour des agences du ministère de la Défense et pour la Deutsche Morgan Grefell, et Christopher Hayward , sheriff est lié aux intérêts de la Chine en tant que chef du CA de la Sichuan Business Association. Les deux sheriffs administrent la Criminal Court Old Bailey dont La City of London est propriétaire et doivent même y habiter le temps de leur mandat v.

Je connaissais ces informations avant de voir les lieux, mais je ne fus pas étonnée de lire sur le panneau d’affichage à l’entrée de la partie « bunker » de la Old Bailey que ce lieu a été producteur de la fameuse « Loi maritime » britannique – le droit établi dans ce tribunal gérait tous les bateaux de la marine anglaise et britannique pendant sa conquête du monde du Moyen Age jusqu’à aujourd’hui ainsi que les territoires des colonies britanniques . Le droit maritime dépendant de la Old Bailey s’étendait aussi aux territoires établis et gérés par la Virginia Company of London vi , autrement dit aux 13 Etats fondateurs des Etats Unis. La Constitution des Etats unis d’Amériques et leur Déclaration d’Indépendance du 4 juillet 1776 ne définissant pas le territoire des Etats Unis, ni leur langues, ni leur coutumes, bref, tout ce qui fait une Nation… certains penseurs anglo-saxons estiment que les Etats Unis restent de iure (et de facto ?) une colonie de la City of London Corporation et ne sont donc pas un véritable Etat. Certes indépendant du « roi anglais » comme le proclame leur Déclaration mais toujours dépendants des banquiers de la City of London Corporation ?

Julian Assange avait bravé les deux, le pouvoir royal de la Reine d’Angleterre et celui des Etats Unis d’Amérique (anciennes ?) colonies de la City of London.




L’accueil musclé de la City of London Corporation

Notre ballade effectuée, nous entrons dans une épicerie pakistanaise pour acheter de quoi dîner. C’est alors que se produit l’attaque policière la plus lourde et musclée de tout notre séjour. Deux policiers en uniformes entrent dans la boutique alors que nous nous approchons de la caisse. Je suis étonnée, ils ne sont pas là pour un vol, nous allons justement payer nos achats. Que se passe- t-il ? Un des policier somme ma collègue française d’abandonner ses emplettes et de sortir. Nous ne comprenons pas ce qui se passe mais nous obtempérons, tellement on est habitués par réflexe à obéir à la police même lorsque ce qu’elle est fait illégal. Je pense que c’est une erreur, surtout que l’homme, grand, blanc, jeune, musclé et roux, vêtu de noir, porteur d’une arme (taser ?) et de divers attirails nous dit de sortir « pour information ». Mais voilà qu’une fois sortie devant la boutique, nous sommes toutes les trois encerclées par pas moins de 6 policiers, trois hommes et trois femmes, qui obéissent eux aux ordres d’un petit homme roux vêtus en civil et munie d’une oreillette et d’un talkie qui se tient à côté d’une voiture que nous n’avions même pas remarquée. Nous sommes assez choquées, surtout qu’ils exigent de nous séparer et de parler à chaque flic séparément. Nous sommes étrangères, ma collègue polonaise vient à peine de poser le pied en Angleterre la première fois, je m’inquiète pour elle. La situation est très tendue et choquante.

Que nous reprochent ils ? D’avoir pris des photos de la Old Bailey au cours de notre promenade ! Je réponds qu’il n’est pas interdit de faire des photos de la Cour, il n’y a aucun panneau et d’ailleurs j’avais déjà fait des photos de tout le bâtiment en juillet dernier sans aucun problème. Je savais bien qu’il y avait des caméras partout, mais comme ce n’est pas interdit, je ne pensais pas que les agents de sécurité privés qui surveillent les banques allaient illico appeler la police en voyant trois femmes déambuler devant la Old Bailey et lire le panneau d’affichage devant la porte ! Ce ne sont d’ailleurs pas des policiers de Londres. C’est la police de la City of London Corporation. Ils portent une casquette à damier blanc et rouge et le logo de la City s’affiche sur leurs uniformes. Cela dit, ils sont jeunes et leurs habillement a bizarrement l’air flambant neuf. Dans l’émotion nous ne le remarquons pas tout de suite, mais les trois jeunes femmes qui nous prennent à part, deux blanches et une métisse ont des coiffures très étudiées comme si elles sortaient d’un studio de coiffure pour tournage de film. Celle qui me fouille arbore des petites tresses très compliquées à faire soi-même et à entretenir – dans les métiers de la sécurité, les femmes sont les plus souvent coiffées d’une queue de cheval facile et rapide à faire.

Ils exigent de voir nos pièces d’identité, nous sommes deux à ne pas les avoir sur nous, après tout nous sommes juste sorties faire un tour dans le quartier. Ils nous disent que la carte bancaire suffit et recopient nos noms à partir de ces documents. Puis ils exigent de voir nos photos. Nous devons ouvrir les deux appareils que ma collègue polonaise avait utilisés. « Qu’est-ce que c’est que ça » ? -me demande un des hommes en désignant la seule photo de mon appareil, deux fenêtres éclairées de la Old Bailey mais pouvant provenir de n’importe quel bâtiment. Je réponds simplement « je ne sais pas, un bâtiment avec des fenêtres allumées ». Un autre questionne ma collègue française sur la photo de l’Eglise Guilde Church of St Martin du 17 siècle de la rue Lutgate Hill. Sa réponse est « c’est une église. Des Polonaises s’intéressent forcément aux églises » ! Cela commence à faire très bizarre d’être interrogées comme ça. Les flics ont bien cité rapidement quelque chose qui ressemble à un article de loi mais ils l’ont fait tellement vite qu’on n’a rien compris. On se met à leur parler. On est des touristes étrangères qui viennent juste d’arriver à Londres. On a à peine mis le pied dans l’appartement de location et fait notre première ballade dans le centre de Londres. On a fait des photos d’un bâtiment certes officiel, mais historique qu’il n’est pas interdit de photographier. Alors ?

Alors les étranges policiers de la City of London nous disent que ce qui compte est « l’intention ! Et l’intention est de commettre un acte terroriste » ! En effet, sous le « Terrorisme Act» il est interdit de photographier un bâtiment ou aura lieu le lendemain « a very sensitive trial » (procès très sensible) ! Nous y sommes… les flics de la City of London Corporation font la chasse aux soutiens de Julian Assange qui viendraient près de la Cour ! Cela commence à m’énerver et m’angoisser. Je ne vais pas recommencer avec la répression illégale comme celle que j’ai subie en Grèce de 2009 à 2013. Il faut qu’on sorte de cette situation ! Nous expliquons qu’on n’a fait que des photos touristiques de bâtiments historiques. C’est la nuit, nous sommes trois femmes étrangères entourées de 6 flics bizarres qui ne se comportent pas en vrais professionnels mais en milice privé – oui la police de la City of London n’est pas une police d’Etat puisque la City of London Corporation n’est pas un Etat ni même une ville mais un curieux territoire hybride appartenant à des entreprises privés auxquelles la Reine d’Angleterre confère le privilège d’avoir leur propre police. Nous ne sommes plus en Grande Bretagne, nous sommes dans un territoire géré par une association privée, d’aucun dirait une mafia. Quid de nos droits, alors que ce territoire n’a pas signé de convention bilatérales avec nos pays ? Nos consuls peuvent-ils nous aider ?

Lorsque le jeune interrogateur me pose la question pourquoi je photographie ces bâtiments modernes, je lui fais un cours d’histoire sur l’anniversaire du Blitz et les souffrances que la population de Londres a enduré sous les bombardements nazis. Je suis sensible en tant que Polonaise dont le pays a été entièrement détruit par les nazis à cette terrible histoire de la destruction du cœur historique de Londres et de sa reconstruction après la guerre. Je voulais montrer à ma jeune amie polonaise le contraste entre les restes de l’architecture du 17 siècle et les bâtiments reconstruits dans les années 50 et 60. L’homme parait un peu impressionné par mon laïus et me fait un discours similaire sur sa famille pendant le Blitz. En fait, je ne l’écoute pas, je stresse à l’idée de ce qui peut se passer maintenant. En effet, ce n’est pas fini.

Ils cherchent quelque chose et se dévoilent vite. Chacune de nous est séparément sommée de dire si elle connait Julian Assange et ce qu’elle pense de Julian Assange. Et si elle vient pour le procès. Pas question. Nous répondons toute la même chose, nous sommes venus en tant que Polonaises chercher du travail et comme on est dans le centre-ville on fait un tour touristique. La fliquette qui m’interroge est goguenarde. Elle me demande ou on habite, je donne la rue. L’appartement évidemment trop cher pour des migrantes. Je lui réponds « c’est une opportunité », rajoutant qu’à mon âge j’ai plus d’argent que ma jeune collègue. Elle me pose des questions sur le boulot que je vais faire, et quand je vais rentrer. Elle insiste sur Julian Assange, je vois bien qu’elle ne me croit pas, j’ai la tentation de dire la vérité, après tout nous ne faisons rien de mal. Nous ne violons aucune Loi en tant qu’association des Droits de l’Homme. C’est eux qui violent les Lois en maintenant un homme en otage captif depuis des années et en le faisant juger par un pseudo-tribunal d’entreprises privées.

Au final toutes les trois nous finissons par dire « puisque vous nous dites que ce procès est sensible et qu’il est si important et qu’il n’est pas interdit d’y assister, alors oui, nous avons envie d’y aller » !

Ce n’est pas fini. L’intimidation continue. Alors que les jeunes flics semblaient avoir fini leur exercice de contrôle sur nous, le chef en civil qui se tient plus loin leur donne un ordre de continuer. Voilà que la fliquette aux nattes bien arrangées se saisit de mon sac et commence à me sortir une tirade sur les articles de loi anti terroristes selon lesquelles elle va me fouiller. Elle ne se présente pas et n’a pas de numéro d’identification sur elle, contrairement à ce que la Loi selon laquelle elle prétend agir exige (comme le montre leur propre attestation ci contre). Une fouille au corps ici dans la rue me semble bizarre et inappropriée. Je saisis mon téléphone et je commence à composer le numéro du consulat polonais. Je lui dis « puisque vous m’accusez de terrorisme, cela commence à être sérieux. Je ne comprends pas ce que vous dites. J’ai droit à l’assistance d’un interprète et d’un avocat. Je téléphone donc à mon consul pour que le consulat polonais nous prête assistance ». La jeune femme bafouille et fait marche arrière : « non, vous n’êtes pas accusé de terrorisme, mais en vertu de la Loi terrorisme Act nous pouvons contrôler votre sac et vous fouiller dans la rue » ! Je réfléchis. Après tout nous n’avons vraiment rien dans nos sacs. Je décide de me laisser faire. La femme met des gants et procède à une palpation de sécurité malhabile et pas très professionnelle. La femme qui fouille ma collègue française fait tellement mal son travail que sa palpation s’apparente à une agression sexuelle. Je suis inquiète pour mon amie polonaise qui a subi en 24 heures 2 contrôles musclés de flics à peine arrivée dans le pays depuis 2 heures ! La rousse aux tresses ouvre mon sac et en sort tous les objets. Elle regarde mon agenda à la date du 5 et du 6 septembre, inspecte le roman érotique en Français j’ai avec moi comme porte-bonheur (« c’est quoi » ? « un roman érotique »). S’ils s’attendaient à des affiches ou tracts pour Assange, ils sont déçus, il n’y a strictement rien dans mon sac et heureusement. Cela dit des policiers professionnels cherchent des armes ou de la drogue, et ne passent pas leur service à inspecter des agendas personnels et des livres comme s’ils étaient déjà devenus une police politique de la pensée.

Finalement, la fliquette rousse remet mes objets dans mon sac, mais un des hommes, un de ceux qui décident, sort et exhibe mon Gilet Jaune toujours dans la poche de mon sac. « Qu’est-ce que c’est » ? Il est ironique. Il cherche à me faire avouer que je fais partie du mouvement des Gilets Jaunes. En Occident la police politique a commencé. Je lui dis tranquillement « un gilet jaune pour le vélo ». Je me tiens prête à appeler le consulat si jamais cela dégénèrerait.

Enfin, c’est fini, les élèves flics n’ont rien trouvé. Elles nous demandent si on veut des attestations de la fouille. Oh que si ! Pour avoir la preuve que vous n’avez rien trouvé ! Pendant que les fliquettes s’appliquent à remplir un formulaire des plus succincts qui ne raconte aucunement la brutalité psychologique de leur intervention sur nous, l’homme en civil décideur fait mine de parler de fouiller notre domicile . Là je m’énerve et je lui dis « Non. Pour cela vous devez présenter un ordre écrit». Il n’insiste pas. Visiblement, tout cela est bluff et storytelling destiné à nous impressionner . Il n’a aucun document nous incriminant pour aucun délit. Photographier la Old Bailey n’est pas interdit et si cela l’était cela doit être visible par écrit. Photographier un bâtiment n’est pas synonyme de préparation d’attentat terroriste. Elles vont loin cependant, dans l’intimidation, les polices privées de Lord Mayor de la City of London.

La policière métisse qui inspecte notre collègue française finit par lui dire, alors qu’il nous démange de leur poser la question cruciale « mais qui êtes-vous » ? « Nous ne sommes pas la police britannique mais celle de la City of London. La City of London, c’est quelque chose de particulier. Vous voyez le Vatican ? Nous sommes comme le Vatican. Indépendant de le Grande Bretagne ». Je pose aussi la question qui cible le pouvoir à mon inspectrice rousse. Elle confirme : la milice de la City of London Corporation est indépendante du gouvernement britannique. Nous sommes en territoire hostile, mais un territoire qui n’est pas un sujet du droit international, pas un Etat, mais une entreprise privée.

Ils nous relâchent. Nous sommes sonnés et rentrons à l’appartement. Le papier que ces « policiers » nous envoient ne mentionnent pas quel est le résultat de leur fouille dans nos sacs et sur nos corps. Il est dit uniquement « des femmes ont photographié la Old Bailey la veille d’un procès sensible ». Dès le lendemain matin la Old Bailey sera photographiée des dizaines de milliers de fois et aucun des supporters de Julian Assange ne sera inquiété.

C’est cette nuit qu’il ne fallait pas qu’on voit ce qui se passe à la Old Bailey. Que se passait-il donc de si particulier cette nuit de veille du procès ?

Le papier de la police que nous récupérons dans notre boite mail ne donne aucun résultat de leur fouille, ce qui est inquiétant. Par contre il stipule que bien que la police n’a le droit de procéder aux fouilles que si elle « des raisons de suspecter que tu a volé quelque chose ou que tu portes des armes offensives, des drogues ou quelques choses qui peut être utilisé pour un vol, un cambriolage ou pour commettre un dommage criminel ». Visiblement l’objet que les milices de la City considèrent comme une arme possible est un appareil photo ! Bel exemple de mise en place d’une dictature que de pénaliser des preneurs d’images la veille d’un procès pour journalisme ! La dictature de milices privées en marche en Europe, il n’y a pas de doute !



Lundi 7 septembre 2020 – premier jour à la Old Bailey

Nous sommes stressés par l’incident policier et je ne peux pas me lever au plus tôt. Nous n’arrivons à la Old Bailey qu’un peu après 6 heures du matin. 4 personnes sont déjà debout avec deux pancartes devant le rideau tiré du Passage Warwick. On ne sait pas si c’est bien ici que public va entrer mais nous n’avons pas le choix que de nous placer à leur suite. On les salue et on reste polies mais la tension montera vite et restera vive toute la journée. Jamie, Sandra, le journaliste allemand Moritz Müller et deux autres hommes jouent le rôle de « chauffe place » - ils font la queue pour d’autres et cèderont leur place à la dernière minute. Ce ne sont évidemment pas des règles équitables du premier arrivé premier servi, j’estime qu’il n’y a pas de personne plus importante que d’autres et personne ne doit servir de larbin à quelqu’un, mais ce n’est pas le problème le plus aigüe. Le plus dur est que même si nous restons calmes, les « supporters » se sentent autorisés à resquiller et nous passer devant, de sorte qu’au bout de 3 longues heures d’attente alors qu’un agent de sécurité ouvre la grille et que nous pouvons rentrer dans l’étroit boyau du passage, nous nous retrouverons dixièmes dans la file alors que nous étions cinquièmes le matin.

Une femme au chapeau de paille, un homme viennent se mettre devant nous et nous poussent des coudes pour nous faire partir. Puis ils et elles nous agressent de diverses manières, d’abord en criant que nous les agressons (la fameuse inversion du bourreau qui crie être victime…), en jouant les kapo du « social distancing » ou en nous interpellant méchamment sur la quarantaine que les Français sont obligés de faire. Je réponds qu’ils n’ont qu’à faire 3 pas en arrière pour avoir leur « social distancing », tout en mettant le masque muselière qui ici devient un accessoire utile de démonstration de notre bonne volonté à respecter les codes sociaux. Je dis aussi que je suis Polonaise donc exemptée de quarantaine mais l’ambiance est irrespirable car la violence des « supporters » augmente au fur et à mesure que l’heure avance.

Dès 8h30 alors que la police de la City of London est sur place et que la manifestation en faveur de Julian Assange grossit devant l’entrée principale, nous savons déjà qu’il n’y a que DEUX places dans la galerie du public ! Les prétextes sont fallacieux et le covid joue un rôle de choix dans l’annulation de la publicité du procès, encore une violation des droits que nous subissons partout sur tout notre continent européen. Nous tous, avec Julian Assange.

Mais je persévère, d’autant plus qu’une des policière, une dame d’une soixantaine d’année, grande blonde masquée, vêtue de l’uniforme au damier blanc et rouge de la City of London Corporation qui semble diriger les opérations s’approche de nous vers 8h00 et nous permet de rester faire la queue pour demander à la Cour si notre association de défense des droits de l’homme pourrait recevoir une accréditation pour le lendemain. Elle est affable et n’a rien à voir avec les gens bizarres que nous avions subis la veille. Les « vrais » policiers ne semblent pas du tout être les mêmes, aucun de ceux d’hier ne sont présents. Les uniformes nickels et les coiffures apprêtées des femmes de la fameuse patrouille de nuit nous semblent de plus en plus ressembler à du décor de cinéma . La voiture des policiers de la City of London est noire alors que celle des policiers britanniques sont bleues et jaunes. Quelques policiers de la Grande Bretagne seront présents mardi et mercredi mais tout comme devant la Westminster ils resteront courtois et discrets.

A 9h30 la tension est à son comble. La manifestation organisée bat son plein devant le bâtiment historique. Certains aspects font penser à un spectacle ridicule et décalé : un homme se promène jambes nues vêtu d’une jupe au couleurs de l’Irlande, une femme porte un costume de kangourou censé représenté le « kangurou court » le procès « kangourou ». Une autre distribue des tracts pour « l’avènement de Jésus » tandis que des acteurs grimés déambulent avec un simulacre de croix. Je ne pense pas que cette mise en scène mette en valeur l’engagement politique de Julian Assange. J’aurais préféré voir des vrais militants politiques, des syndicalistes, des membres du Parti communiste, du Labour de gauche, des associations de droits de l’homme anglaises… Mais ces représentants de la vraie société civile anglaise ne veulent pas toucher à l’affaire Assange comme si la complexité de la question les déroutait. Il est vrai qu’ils auraient alors besoin de nettoyer en profondeur leur société, les contradictions de leur système politique féodal (la City of London en tant que fief féodal du suzerain de la Couronne d’Angleterre) et ils semblent reculer devant cette tâche herculéenne.

En tant qu’étranger luttant pour la liberté d’un homme otage nous n’avons pas ces hésitations et nous devons aller de l’avant parce que notre liberté est liée à la sienne.

A 10h un agent de sécurité privé, assez âgé, ouvre la porte de la galerie du public dans le Passage Warwick. Il fait entrer les familles des quelques autres « cas » - Maurice Robinson et Christopher Kennedy, deux jeunes routiers anglais accusés d’avoir assassiné 14 migrants vietnamiens en les laissant mourir dans leur camion frigorifique en novembre 2019 ainsi que la famille d’un homme ayant tué sa femme. Les quelques 10 personnes montent les escaliers alors que nous restons devant la porte.

La confusion s’installe alors et la pression physique des personnes « chauffe place » augmente sur nous. Nous sommes accusés de tous les maux dont se rendent en réalité coupable ces gens qui sont censés être nos alliés dans la défense de Julian Assange. On dirait un scénario bien huilé pour nous empêcher d’entrer en nous faisant perdre notre sang froid. Comme je connais le scénario depuis un an et 14 audiences, je ne me démonte pas.

Les lieux et les protagonistes du « jeu »

Puis brusquement la situation se débloque : un agent de sécurité jeune vient prêter main forte au plus âgé. La porte d’entrée vers la « public gallery » s’ouvre. Les agents annoncent « la famille » de Julian Assange qui a priorité. Avec je vois arriver John Shipton et puis avec surprise le trio de février et composé du frère de John Shipton, de la femme de celui-ci et du fils du frère. Je ne les ai évidemment vu à aucune audience intermédiaire à la Westminster Court. Stella Moris est également absente, elle ne sera JAMAIS présente dans les lieux avec la famille. Par contre Craig Murray leur emboite le pas. Je suis fatiguée de cette opacité – qui décide de qui est la famille ? – mais je ne peux rien faire. Pire, une fois que les cinq de la Woolwich Court rentrent dans l’étroit escalier menant aux étages, des conciliabules entre Deepa River et les agents de sécurité commencent car les militants « chauffe-place » ont dégagé la place. Ces négociations opaques ont comme résultat l’entrée de Kristinn Hrafnsson, de Fidel Narvaez et de John Pilger dans l’escalier. Pilger n’a évidemment jamais fait la queue, contrairement à Fidel Narvaez que j’ai vu depuis le matin mais qui a pu circuler librement sans être acculé à tenir la porte comme nous pour ne pas être viré. Je suis alors en colère, surtout quand je pense aux immenses efforts que nous avons dû faire pour arriver là…. Mais je reste stoïque, essayant cependant de discuter avec l’agent de sécurité d’une « accréditation pour association de défense des droits de l’homme ». L’homme me regarde et dit qu’il n’y a pas de place dans la salle 10 « à cause du coronavirus » mais à son attitude je comprends qu’il faut persévérer.

Nous sommes maintenant les deux Polonaises devant la porte. Entre l’entrée principale dans la rue et notre porte s’active Georgia, la mystérieuse militante que j’ai toujours vue, toutes les fois à toutes les audiences depuis 1 an. Georgia a d’abord été hostile vis-à-vis de moi, puis amicale lorsque nous avons fait cause commune contre les listes de Greekemmy. Elle a assisté aux 4 jours à la Woolwich Court et je l’ai revue en juillet et août dernier à la Westminster. Georgia parle un Anglais d’Oxford de très haut niveau et on ne sait rien d’elle ni comment elle fait pour toujours entrer. J’ai été peinée ce matin lorsqu’elle m’a attaqué vertement dans la queue en resquillant alors même qu’elle était arrivée après moi et au final je la vois me passer devant. Elle a l’air d’avoir un certain pouvoir car elle négocie avec les agents de sécurité et des responsables de la Cour l’entrée de deux autres protagonistes du jeu que je connais depuis la Woolwich, Rebecca Vincent de Reporter Sans Frontières UK et Christian Mihr de Reporters Sans Frontières Allemagne . Je ne peux cependant comprendre la teneur des échanges car je ne peux quitter mon poste dans le sombre boyau du passage Warwick pour aller vers l’entrée principale dans la rue.

Lorsqu’elle me pousse pour se retrouver devant moi face à la porte, je réagis. D’un ton gentil, presque suppliant je lui dis : « Georgia, pourquoi tu me fais cela. J’ai toujours été loyale avec Toi ». Elle continue dans la veine agressive, m’accusant de la pousser et me parlant du fameux « social distancing ». C’est une pose. Alors, je lui dis simplement : « Qui es-tu ? Comment se fait-il que tu entres toujours ? Tu as dit être chercheuse, mais je n’ai jamais rien lu de ce que tu as écrit ». Alors, la femme réprime un sourire. « Tu ne sais pas sous quel nom j’écris ». Non, effectivement elle n’a jamais voulu dire son nom. Puis son visage devient sévère, déterminé, mais également effrayé : « Je fais cela pour mon pays » dit -elle. « Tu n’as pas remarqué qu’il n’y a aucun Britannique dans cette affaire » ?

Si j’ai remarqué. Que des Australiens et des Allemands. Et ici c’est le lieu international de la Cité des Banquiers mondiaux par excellence. Je bafouille, surprise, je parle du frère de Shipton, ne vit-il pas ici ? J’en oublie que Craig Murray est censé avoir été diplomate de Sa Majesté. Mais pour Georgia, il ne représente ici pas son pays.

Tout va alors très vite. La porte s’ouvre. Kristinn Hrafnsson apparait suivi de John Pilger. Les deux hommes quittent les lieux après une heure seulement. L’agent de sécurité annonce qu’il peut nous faire entrer. Georgia la première, puis moi, puis les deux de RSF. Je donne mon téléphone portable à ma coéquipière polonaise et je devrais aussi jeter ma bouteille d’eau et mes biscuits, toute alimentation étant interdite. Le passage vers la galerie du public est un étroit boyau tout en bois sombre et au linoléum fatigué qui me rappelle l’architecture stalinienne du tribunal de Varsovie dans les années 90-93. Dans un minuscule entresol se trouve le PC de l’agent, ainsi qu’une caisse en métal – un détecteur de métaux modèle des années 80. Une fois que nos sacs passent dans la caisse et que l’agent n’a rien trouvé d’interdit, nous traversons un portique de sécurité. Il est assez sensible car mes chaussures sonnent chaque fois. Dès que je suis libérée de la fouille, je me mets à courir pour ne pas perdre ma place. Trois grands étages à gravir d’un escalier bunkérisé sans fenêtres, un plancher en lino sale, des toilettes dans les entresols derrière de lourdes portes en bois foncé (les toilettes femmes sont condamnées pour cause de corona, il faudra aller dans les toilettes hommes, garnies de lavabos et de pissotières modèle des années 1960. Personne n’a jamais rénové ni modernisé ces lieux qui n’ont d’ailleurs pas l’air très fréquentés).

Je croise au 1er, 2ème et 3ème étage les familles des autres accusés qui attendent dans un petit vestibule sur le palier. Je dois courir tout en haut, au 4ème étage de cet escalier, 5ème et dernier étage du bâtiment et j’arrive essoufflée. Sur le palier une femme blanche âgée en uniforme blanc et noir masquée me dit d’attendre. Elle se concerte avec une autre agente assise dans le couloir dans un renfoncement devant un écran de caméras. Les caméras de surveillance montrent l’escalier et elle doit en plus surveiller le couloir. Pas de PC sécurité, je me fais la réflexion sur les conditions de travail lamentables des prolétaires anglais si obéissants. Les deux femmes me disent de les suivre. Dans l’étroit et sombre couloir nous longeons la « Court Room 10 » et elles ouvrent la porte suivante « Court Room 9 ».

Je descends dans la galerie du public, je m’assieds sur une des nombreuses chaises vides. Georgia est derrière moi loin de moi, à ma gauche au fond je retrouve Fidel Narvaez mais Rebecca Vincent et Christian Mihr ne se formalisent pas du « social distancing » (et je ne leur en veux pas) et se placent dans la rangée juste derrière moi un peu en hauteur. Je ne suis pas dans le « Saint des Saints », ce lieu est la Courtroom 1 0. Je suis dans une salle mitoyenne qui accueille les journalistes et le public sommés de suivre les débats de la salle 10 sur deux écrans video placés de part et d’autre de la pièce.

J’enrage quand je compte le nombre de chaises vides : 40 places dans la galerie du public répartis en 4 rangées et nous ne sommes que 5 ! Le Coronavirus permet décidemment abolir toute règle d’Etat de Droit alors qu’il y a largement l’espace pour faire entrer 20 personnes ! En bas du balcon de la galerie, je compte dans la salle elle-même 50 chaises occupées seulement par 15 personnes ! Et il y a aussi à droite de la salle le box des accusés ou pas moins de 10 places restent vides ! En tout 100 places dont 80 vides !

Le public des journalistes est donc très clairsemé. La salle est une salle d’audience comprenant une grande estrade avec haut fauteuil en cuir pour le juge (quelques livres de droit gisent sur ce bureau) à droite de la pièce. En dessous de l’estrade se trouve, en face des participants au rituel, le non moins confortable fauteuil du greffier. Ici le siège est occupé par… Rosie Sylvester, la manager que nous connaissons si bien de la Westminster ! Elle est habillée d’un tailleur bon marché et tape sur un ordinateur en regardant vaguement l’écran de l’audience. Elle a droit à de l’eau, une bouilloire pour le café et à des objets personnels qui attestent que c’est son lieu de travail actuel. Elle ne travaille donc pas pour la Westminster Court mais pour « le cas Assange »… Il n’y a dans la salle aucun personnel spécifique de la Criminal Court Old Bailey car ce n’est pas cette Cour qui juge Assange. Cette Cour est le lieu où ça se passe, comme si on avait loué une salle pour une réunion qui ne peut plus se tenir nulle part ailleurs . Il se peut cependant que Rosie Sylvester et Vanessa Baraitser travaillent pour l’entreprise privée Prudential qui est en réalité propriétaire du bâtiment central au 179-185 Marylebone Road et qu’elle loue à la Westminster Court, comme le prouve le document du cadastre N° NGL900525. Les bâtiments des tribunaux ont été privatisés depuis longtemps en Grande Bretagne et le propriétaire Prudential peut très bien louer des salles de réunions pour d’autres objectifs à d’autres personnes morales et privées et salarier des employés directement ou en sous-traitance. Le « Procès Assange » peut en réalité être un spectacle menée par une entreprise privée qui emploie les protagonistes en salariés. Un bâtiment comme la Old Bailey dans un lieu quasi extraterritorial garantit à cette entreprise privée organisatrice une impunité totale.

Nous allons croiser Rosie en route vers son bureau tôt le matin vers 8 heures cheminant par le passage Warwick vers l’entrée du personnel à l’arrière du bâtiment. Les agents de sécurité et de jeunes stagiaires passent aussi par cette entrée.

Ici salle 9 Rosie est assise dans l’axe de la pièce comme si elle se trouvait en face de Vanessa Baraitser derrière le mur à droite. En face de moi, perpendiculairement à Rosie se trouvent 3 rangées de 25 places, dont la moitié est condamnée avec des rubalises à droite alors qu’à gauche seules 4 places sont occupées par des gens écrivant sur des ordinateurs (des journalistes ?), des hommes aux physiques passe partout. Un homme se détache néanmoins de la masse : il est plus costaud, aux cheveux roux et visages rond. Il a un notebook mais aussi un téléphone portable non éteint qui fait du bruit lorsqu’arrivent les messages. Il a l’air de sourire en regardant l’écran pile en face de lui. Il suit très attentivement le déroulé comme un réalisateur le scénario de son film, tout en faisant de nombreux gestes ponctuant son observation. De temps en temps il note sur son téléphone (privilège car nous n’avons droit à aucun outil ni même à un bloc-notes et stylo !). Le lendemain je découvrirai qu’il est probable que ce soit le producteur de cinéma et de spectacle Hamish Hamilton.



L’Allemagne dans la Old Bailey

Les autres personnes ne sont pas journalistes non plus : je découvre avec stupeur la députée au Bundestag de Die Linke Heike Hänsel assise juste en face de Rosie Sylvester dans la première rangée. Derrière elle se trouvent deux jeunes hommes. Celui de gauche, un jeune roux aux lunettes, s’avère un représentant de l’Ambassade de l’Allemagne ! Je l’apprends car Rebecca Vincent a bien spécifié à l’agent de sécurité qu’elle est pistonnée par l’ambassade de l’Allemagne dans les lieux. Sitôt arrivée Vincent et Mihr ont droit aux saluts de Heike Hänsel qui leur désigne le jeune homme comme leur contact de l’ambassade. Je n’entends pas son nom mais il apparait clair qu’il est un personnel politique de la mission diplomatique.

Derrière eux une femme brune à la veste vert foncée me parait avoir été parmi les journalistes qui fréquentaient le procès depuis 1 an. A sa gauche sont assis trois hommes roux ou blonds aux allures très « baba cool ». Toutes ces personnes se parleront Allemand entre elles le lendemain et le surlendemain. Il n’y a presque pas de Britanniques ici, oui. Par contre l’Allemagne en tant qu’Etat est très présente par sa député et ses diplomates.

L’Allemagne est très présente en particulier dans le dossier Assange, sans toutefois que les véritables chefs du projet 04 Wikileaks « Freedom of Expression » de la Wau Holland Siftung, sis au 25 Marienstrasse à Berlin, Andy Müller Maguhn, Bernd Fix, Klaus Schleisiek n’aient le courage d’assumer ouvertement leur responsabilité et prendre la place de leur ancien ami et salarié Julian Assange dans le box des accusés. Ce sont pourtant eux les vrais chefs de ce projet de la Wau Holland qui perdure aujourd’hui et dont Müller Maguhn assume la direction. Assange ne fut que la belle gueule, la vitrine de Wikileaks, pour laquelle le public donnait de l’argent séduit par son physique et son apparente honnêteté. Müller Maguhn, Fix, Schleisieck et les autres dirigeants de la Wau sont toujours restés dans l’ombre et ne sont donc pas inquiétés par la justice américaine tandis que leur marionnette Assange est livrée en pâture au Grand Inquisiteur. Il faut dire les choses brutalement car elles sont ainsi, preuve dans les rapports d’activités de la Wau Holland que j’ai étudié avec soin i.

L’Etat Allemand a l’air de vouloir protéger sa fondation et ses citoyens, à défaut de soutenir Assange. L’Allemagne est ici chez elle dans cette affaire . Qu’un procès se déroule en présence d’un Etat étranger est une pratique impensable en droit mais il ne faut pas oublier qu’ici nous ne sommes pas en Grande Bretagne mais à la City of London Corporation, la Guilde des Marchands de Londres. Si les Sheriffs qui gouvernent le bâtiment de la Cour et le Lord Mayor de la City acceptent l’influence de l’Allemagne sur leurs institutions, je me demande si le gouvernement britannique a son mot à dire sur ce qui se passe dans ce lieu- une enclave comme le Vatican sur son territoire…

Alors je regarde l’écran suspendu sur le mur à l’opposé de la galerie. Et je ne vois hélas pas grand-chose car il se trouve à 20 mètres de moi et l’image est floue. Le son est également peu audible. Je distingue néanmoins la salle 10, avec Baraitser à gauche sur une estrade, Fitzgerald et Summers en chemise blanche en face d’elle devant des tables, Lewis et Clair Dobbin à leur droite. Au fond je distingue vaguement des têtes. Lorsque les avocats parlent, la caméra ne montre pas Julian Assange. Ce n’est que lorsque le procureur parle que la caméra se tourne à gauche et je peux distinguer de très loin le box des accusés … et une tâche blanche au visage blanc vêtu d’un habit vaguement marron entre deux gardes à chemises blanches. Julian Assange est là, oui, mais comment en être sûr que c’est bien lui alors qu’on ne voit rien de son visage qu’une tache blanche ! Une autre tache blanche est assise devant lui, une femme avec des cheveux noirs. Gareth Peirce est présente aussi derrière Fitzgerald, toute en noire alors qu’elle n’apparaissait plus depuis février. Au fond de la salle, à gauche d’Assange, des têtes indistinctes. Comment peut-on appeler cela un procès équitable ? Un procès secret digne des temps féodaux oui. Mais la City of London Corporation est toujours régie par des Lois datant des temps féodaux toujours valables et la Grande Bretagne a toujours dans son système politique des éléments de féodalité comme le pouvoir de la Reine sur certaines institutions sociales, politiques juridiques et scientifiques. La City of London Corporation est censée avoir fait allégeance à la Reine qui est son suzerain direct selon les coutumes datant de 1186 !

Dans un tel espace nous ne pouvons espérer le respect des Droits de l’Homme car les Lumières n’ont jamais réussi à pénétrer ce lieu clôt, feutré, violent et puissant.

Comme je n’ai pas le droit de prendre de notes, je n’ai pas retenu la plaidoirie de Summers et la réponse du procureur. Je sais juste que pendant une heure l’avocat de Wikileaks a essayé de plaider l’impossibilité d’accepter les nouvelles accusations des Etats Unis avec l’argument d’un envoi trop tardif des documents. Il ne conteste donc pas le fond et reste dans le cadre d’un « case management hearing », une audience d’organisation.

Au bout d’une heure, c’est la pause midi. Les agentes de sécurité viennent nous virer. Je n’ai pas le choix que de sortir. Je parais tellement fatiguée que les femmes me disent d’enlever mon masque pour souffler. Je regarde la porte de la salle 10, la Famille a déjà quitté les lieux, je ne verrai ni Julian Assange ni personne par une porte entre-ouverte.

Nous devons manger et nous reposer, ayant atteint les limites de ce qu’un être humain peut endurer sans repos et sommeil. Nous revenons trop tard, à 15 heures. Les militants « chauffe place » sont là, ils se moquent de nous. Je reste un peu devant la porte jusqu’à ce que quelqu’un sonne et que l’agent de sécurité ne me voit. Il me dit poliment que pour aujourd’hui c’est impossible mais que je peux revenir demain.

Je rejoins les quelques amis qui participent à la manifestation carnavalesque devant la porte principale de la Old Bailey. Puis à 16 heures nous nous retrouvons avec eux à attendre devant la porte cochère de la rue Newgate (nom de la prison qui desservait la Criminal Court tout au long de l’histoire de la City et de Londres). Cette immense voûte commande l’entrée du passage entre le bâtiment de la Old Bailey du 19 siècle et les bureaux d’Axa à gauche avec au fond au la Maison des Couteliers. Le passage arrive dans la petite cour intérieure de la Old Bailey qui est aussi l’entrée des salariés (à voir sur le plan Google) ii. La chasse à la photo de Julian Assange dans son fourgon est organisée par la meute de photographes, présents en nombre le premier jour, nettement moins assidus les jours suivants.

Comme en décembre 2019 et en janvier dernier les photographes se ruent sur les 4 fourgons sortants et sur une grande berline noire aux vitres teintées. Ils flashent l’intérieur puis regardent leur photo pour reconnaitre Assange. Ce n’est jamais lui, ils persévèrent donc. On a compris qu’il faut les suivre, puisque leur but est de vendre la photo et qu’ils cesseront une fois leur butin attrapé et envoyé à leur rédaction. Pourtant les pauvres types qui sont sortis par la porte dans les fourgons ont l’air d’être les autres accusés de la Criminal Court jugés inintéressants par les médias. A un moment donné nous demandons aux photographes s’ils ont eu la photo. Ils démentent, nous ne sommes pas certaines qu’ils disent la vérité. Peut-être que oui puisqu’aucune photo d’Assange n’est finalement publiée. Dès que la dernière voiture est partie, la police lève le camp immédiatement. Etrange procès ou nous avons subi tant d’intimidation pour finalement voir de nos propres yeux qu’il n’est pas si « sensitive » que cela aux yeux des « vrais » autorités.

Julian Assange reste visiblement piégé en captivité à l’intérieur de la Old Bailey. Il n’est pas sorti de la semaine Après tout, dans la Old Bailey il y a tout ce qu’il faut pour tenir un siège : de vastes souterrains visibles quand les camions de livraisons amènent les plateaux repas et le matériel de tournage et d’enregistrement, une cantine, une cuisine dont on entendait les bruits dans le passage Warwick… Et certainement des appartements en haut et des cellules en bas. La nuit, les 4 et le 5 èmes étages correspondant aux salles 9 et 10 et à leurs couloirs et galeries seront illuminés de leur lumière bleutée. Quelqu’un dort et travaille ici la nuit, incontestablement.




Mardi 8 septembre 2020

Le lendemain après une bonne nuit de repos nous arrivons beaucoup plus tôt, à 5h30. Le passage Warwick est ouvert et désert. Jamie arrive vers 6 heures, suivi de Sandra et de Deepa. Il est désappointé de nous voir avant lui et nous en fait la remarque « cette fois vous avez été plus vite » ! Je ne lui en veux pas mais je suis agacée. Pour nous ce n’est pas un jeu à « qui arrive le premier ». Nous ne sommes pas comme ces « Titouchki » ukrainiens ou biélorusses, ces gens payés par les fondations occidentales 100 Euros par jour pour participer aux fausses manifestations de « révolution de couleur » contre Janoukovitsch ou Loukachenko. Personne ne nous paye, au contraire, nous donnons nos forces et nos ressources pour la lutte commune. Je n’ai rien contre Jamie, mais il est certain qu’il n’écrira jamais aucun compte rendu puisqu’il n’assistera jamais à aucune audience de lui-même.

Comme hier notre attente dure longtemps, il commence à faire froid en cette matinée de septembre londonien. J’ai amené mon sac de couchage qui me sert de couverture. Vers 8 heures des personnes commencent à se rassembler devant la Old Bailey. Il y en a nettement moins que la vieille. Le storytelling effectué, nos chers journalistes passent à une autre nouvelle. Les employés traversent le passage pour se rendre vers l’entrée des salariés dans la cour. Rosie Sylvester passe vers 8 heures mais ne répond pas à notre salut. Ce jour là il y a nettement moins d’audiences « normales » et plus aucune famille ne fera la queue côté passage Warwick. La véritable Cour Criminelle travaille aux étage 1, 2 et 3, le public fait la queue devant l’entrée principale. L’entrée du passage Warwick et l’escalier qui y débouche est uniquement destiné au « cas Julian Assange » comme si c’était une réunion d’une association ou d’une entreprise privée qui aurait loué des salles inoccupés aux deux derniers étages.

A 8h30 le jeune agent de sécurité se pointe et nous annonce qu’il n’y aura que deux places pour le public car trois sont « réservées pour les VIP ». Deepa tente de parlementer et moi je rajoute « pouvez vous nous dire qui décide de qui est « Very Important Person » ? Ce genre de passe-droit accordé à des chanteuses comme autant des titres de noblesse modernes m’agace profondément. Deepa appuie ma demande de transparence. L’homme est gêné et nous dit qu’il va se renseigner. Il ne revient jamais. Une des amie supporteur me dit ironiquement « voyons – les VIP, Pamela Anderson, Maria Carey, Mia, en plus elles ne sont même pas là». C’est sûr que des riches comme ces dames ne font pas se geler les fesses à faire la queue dans l’immonde et sale boyau du passage. On est bien dans une société féodale et capitaliste.

A 9h30 John Shipton et Craig Murray arrivent justement dans le boyau et échangent avec les militants. Vers 10 heures le jeune agent sécurité ouvre la porte d’entrée et appelle « la Famille » puis nous désigne « deux personnes. Premiers arrivés, premiers servis ». Nous donnons nos téléphone à notre collègue. J’ai vidé mon sac de tout, sauf d’un chargeur électronique qui ne passera pas le portique. Heureusement qu’une des militante, gentiment, me le gardera. John Shipton, son frère, la femme du frère et leur fils sont là et entrent dans l’escalier suivis de Craig Murray. Puis je rentre avec Barbara la Polonaise. Je suis la dernière à passer l’antique détecteur de métaux et à gravir à toute vitesse les 4 étages à pieds pour ne pas perdre une miette du procès. Mais arrivée en haut je vois Barbara attendre dans le petit vestibule devant la porte vitrée séparant l’escalier du couloir. Elle se tient debout en face des « familiers » de Julian Assange assis sur des sièges en bois des années 60 tandis que le jeune homme est assis sur les marches. Une agente de sécurité vêtue d’un uniforme bleu marine (il y a deux sociétés de sécurité différentes qui travaillent pour le procès d’Assange ? Pourquoi les uniformes des gardiens d’Assange sont aussi disparates ?) vient nous dire que l’audience est retardée. Elle disparait dans le couloir et nous restons à nous regarder un peu en chien de faïence. Craig Murray parle de l’Ouzbékistan à son ami John Shipton. Ce dernier compare ses grandes mains caleuses à celles de son frère. « C’est génétique » dit-il. Il rit, détendu. Ses mains ne ressemblent pas à celles longues et fines de Julian Assange, mais on me dira « comment être sûr de ressembler toujours à son père » ?

Au bout de 20 minutes l’agente de sécurité ouvre la porte et dit «j’ai besoin de connaitre les noms des membres de la famille ». Le groupe assis en face de nous n’est pas très content de décliner son identité . J’entends ainsi que le frère de John Shipton s’appelle Sullivan Shipton, son fils Elliot Shipton et l’épouse de Sullivan Esther Bronfman ou Kaufman, elle le dit si bas que l’agente de sécurité est obligée de se pencher vers elle pour comprendre . Quelques minutes plus tard l’employée revient et nous fait signe de la suivre. Nous pénétrons dans le couloir glauque et sans fenêtres, laissons sur notre gauche le renfoncement avec sa table et ses caméras de surveillance et nous nous retrouvons à la suite du groupe familial en face de la porte marquée « court room 10 » à la peinture rouge. Elle ouvre cette porte et fait entrer « la famille ». Je m’efforce de distinguer quelque chose – la salle a l’air sombre, les murs tendus de vert et les fauteuils en bois et en cuir rouge. Mais je ne peux hélas apercevoir Julian Assange. L’agente nous barre l’entrée et dit « vous vous allez salle 9 ». Puis « Mais vous pourrez peut-être aller salle 10 l’après-midi ». Il y a de l’espoir !

Salle 9 nous nous retrouvons seules parmi les 40 sièges vides du balcon. Nous nous asseyons de façon à pouvoir communiquer. Nous sortons nos calepins et nos stylos pour noter. Surprise, les règles ont changé, aujourd’hui il est permis d’écrire. Devant moi la même configuration qu’hier et seules 8 personnes se trouvent dans la salle : Rosie Sylvester à la place du greffier, Heike Hänsel en face d’elle, le jeune homme de l’ambassade allemande derrière elle, les deux « baba cool » allemands et la femme brune au pull vert dernière rangée. Dans les fauteuils en face, celui qu’on identifiera comme Hamish Hamilton et un autre homme dernière rangée à droite. C’est tout. Ou sont donc les journalistes censés faire des reportages sur le procès ? Ils n’ont pas pu ou pas VOULU entrer ?

Sur l’écran retransmettant la salle 10 je vois Baraitser à droite, Summers et Fitzgerald, le greffier, l’accusateur Lewis et trois silhouettes très loin dans les rangées perpendiculaires au tables des avocats et accusateurs. Dans le coin droite en bas de l’écran un homme se tient au pupitre des témoins : c’est l’avocat Smith, que Summers présente immédiatement comme « spécialisé dans les extraordinary rendition, les kidnapping, la torture, les disparitions forcées ». Dommage que je ne puisse pas voir son visage car debout dans le pupitre il tourne le dos à la caméra. Par contre on entend nettement mieux qu’hier. Mark Summers est dans sa plaidoirie, après la présentation du CV du témoin (qu’hélas je n’entends pas très bien) il lui demande s’il a eu des contacts avec Wikileaks et si les documents classifiés publié par Wikileaks lui ont servi dans son travail comme preuves. Il est surtout question d’assassinats perpétrés en 1993 par l’armée US en Afghanistan. Non, l’avocat Smith n’a pas eu de relations avec Wikileaks, oui il a utilisé les « cables » (les télégrammes diplomatiques).

Alors que je m’efforce de tout comprendre et tout noter brusquement, pendant 10 secondes la caméra zoome sur le box des accusés ! Et je vois Julian Assange , bien plus distinctement que la veille ! Je le vois assis entourée de deux gardes en blanc. Il a les cheveux courts et pas de barbe. Il porte une chemise blanche et une veste bleue marine. Hélas, trop loin pour que je puisse voir l’expression de son visage. Il est immobile, assis droit comme un I… Les organisateurs du sacrifice ne nous font pas de cadeaux ni à lui non plus. Immédiatement la caméra quitte Assange et nous ne le reverrons plus !

Tout en restant attentive à la caméra, je suis la démarche de Summers qui se réfère aux paragraphes de la déposition du témoin et lui donne la parole sur les points cités. Le témoin Smith, qui est Américain, explique que « la réputation de mon pays a été sérieusement entachée par les crimes de guerre », qualifie les révélation de Wikileaks de « powerfull » (fortes) et se réfère à des procès conduits par la justice du Pakistan contre les « rendition » et les assassinats. Les Etats-Unis ont-ils voulu bloquer les investigations sur les « rendition » ? questionne Summers. Oui, répond le témoin. Le document le plus important qu’il a utilisé dans son travail est la liste de 69 noms de personnes « cibles » d’assassinats décidés par les « agences américaines ». Cette liste a été publiée dans la presse pakistanaise et afghane et constitue un « document fascinant ». L’avocat de Wikileaks questionne l’avocat des victimes du gouvernement américain sur son « assassination program » et lui demande des détails sur la façon dont il a travaillé avec ces « sources de preuves ». Smith est prudent et parle d’une voix détachée et posée. Il ne mentionne pas avoir lu par lui-même la page de Wikileaks, mais parle toujours de presse afghane ou pakistanaise ou du New York Times. Puis Summers le questionne sur les documents de « Guantanamo II » publiés par Wikileaks, le débat passe sur les « secret prisons ». (Je ne peux m’empêcher de penser à mon pays la Pologne qui sert toujours et va servir de bagne secret à l’Etat voyou américain).

Smith exprime sa tristesse et dit qu’il n’aurait jamais cru que son gouvernement allait tremper dans des pratiques pareilles : torture, kidnapping, rendition, secret prisons… Summers souligne et répète « Rendition, torture, détention ». Selon Smith « la torture psychologique est la pire » et il cite la Convention de l’ONU contre la torture qui oblige effectivement les Etats à coopérer aux enquêtes criminelles sur la torture. Summers assène « Wikileaks a aidé à prouver la torture, les renditions, les disparition ». A ce point là on a la nausée à force d’entendre les mots « torture disparition, rendition, kidnapping, assassination, target (cible »). Le timbre de voix de Summers étant dépourvu de la moindre émotion, l’impression qui se dégage de son discours est que oui, Wikileaks est une bonne chose, mais la puissance américaine est telle et tellement violente, qu’on ne peut rien y faire. C’est un monstre invincible qu’il est impossible de vaincre et que seuls quelques courageux peuvent contester à la marge.

Justement, comment Smith a-t-il pu poursuivre les Etats Unis devant Le tribunal international criminel ? Il n’a pas pu, car même en ce qui concerne les prisonniers de Guantanamo la CIA et les autres agences ne coopèrent pas avec la justice. La nausée nous submerge. Décidément les hommes comme Summers manquent de combativité et de persuasion si à la fin de leur juste plaidoirie l’opinion publique ne retiendra que sa passivité face à l’innommable violence d’une Superpuissance.

Mais comment l’opinion publique pourrait même en être même informé ? Ce « procès » est une réunion à huis clos comme une cérémonie sacrificielle de l’Inquisition au 17 siècle . Les quelques « journalistes » dans la salle sont clairement en train de regarder leur portable sans écouter. Le représentant de l’Allemagne regarde même Facebook, je le vois du haut du balcon !

La procureur passe le témoin « à la question ». D’abord il lui demande s’il croit que Wikileaks est « public interest », « d’utilité publique », puis lui demande la définition de ce « public interest ». Puis il demande si révéler les « secrets de l’Etat » peut être d’utilité publique si c’est publié au New York Times et au Washington Post. L’impression qui se dégage de la discussion entre les deux « Américains » (qui est le procureur Lewis on n’en sait trop rien finalement) est que c’est débat … américain. Deux Américains discutent de ce qu’il est bien et pas bien de faire en Europe et cela se passe sur notre continent. A aucun moment des Lois européennes, la Convention Européennes de Sauvegarde des Droits Fondamentaux, la Chartes Européennes des Droits Fondamentaux que la Grande Bretagne a signés, dont elle a été promotrice, ne sont cités. Oubliés les Droits fondamentaux. La cérémonie du sacrifice d’Assange a eu raison de nos droits pour ce qui est de la politique tandis que le coronavirus se charge de liquider le reste de nos droits personnels comme le droit à l’intégrité physique, à la santé, à la liberté de circuler, la non violabilité du domicile…

Le procureur affirme cependant que Julian Assange n’est pas poursuivi pour les publications de documents secrets mais pour avoir « outé » les collaborateurs américains. Je n’entends hélas pas bien son échange avec Smith. J’estime qu’il doit être environ 11 heures (nous n’avons pas droit à une montre) quand brusquement j’entends dans l’écran distinctement la voix de Julian Assange ! Il parle ! Et d’une voix décidée, le ton monte vers une interrogation ! Je n’entends hélas pas ce qu’il dit et de plus, la caméra ne le montre pas ! Je dis à ma collègue que Julian Assange a parlé ! Baraitser lui interdit de parler ! Le renvoie à ses avocats ! Puis on voit à l’écran qu’elle suspend la séance. Tout le monde bouge, le son est coupé. Je fixe l’écran dans l’espoir d’entre apercevoir Julian, mais pas question, les tortionnaires ne vont pas montrer ce qu’ils font avec lui . On ne sait pas s’il est là ou s’ils l’ont fait sortir. Ce qu’on comprend et qu’il s’est révolté encore et encore !

Dans notre salle un homme entre par la porte du fond à gauche et vient parler à Rosie Sylvester. Je distingue par cette porte la clarté du jour : derrière elle se trouve un couloir garni de fenêtres donnant sur la rue. Le technicien sort et quelques secondes après apparait à l’écran dans la salle 10. Dans cette pièce on n’a pas l’impression de percevoir la moindre tension alors que nous, le public, restons stupéfaits. On voit les avocats et les procureurs se parler, tout le monde a l’air détendu. Assange est absent de l’écran. Baraitser rentre, reprend sa place, admoneste Assange comme si elle parlait à un enfant fautif (nous sommes de nos jours nombreux à être infantilisés par le système dominant…). Elle lui dit que même s’il pense avoir le droit de parler lui-même, il ne doit pas interrompre le témoin. Et non, il n’a pas à parler sinon il va être viré de cette cour. A sa place, j’aurais fait la grève pour rester dans ma geôle, plutôt que de cautionner une cérémonie inique digne du Moyen Age !

D’ailleurs en fait, ici à la City of London nous SOMMES au Moyen Age, régie par des coutumes et un arbitraire directement venus du 11 siècle et on se demande bien en vertu de quelles Lois internationales cet homme est maintenu en captivité dans ce lieu ! D’ailleurs, les menaces de Baraitser sont peut-être déjà mises à exécution : on n’a aucune preuve que Julian Assange soit toujours dans la salle 10. Ils l’ont peut-être sorti et enfermé quelque part et ils continuent à débattre de la justesse de « Wikileaks », cette page internet dont le propriétaire du nom de domaine n’est pas Julian Assange mais un certain John Shipton, le père assis tranquillement sur sa chaise de la galerie du public, jamais inquiété par aucune instance ! Le père est sauf et le fils sacrifié : on se croirait dans le plus patriarcaux des mythes, celui de Abraham sacrifiant son fils par obéissance à un Dieu exterminateur. La mort du fils pour sauver le père m’a toujours paru le comble de la perversité du système !

Je n’en peux plus de voir Julian Assange dans la position de l’agneau sacrifié, culpabilisé, humilié. J’aimerais descendre dans l’arène, ouvrir toutes ces foutues portes, qu’en réalité aucun policier ne garde, enjamber ce balcon, me diriger vers le box, y entrer (le box n’est pas fermé non plus), prendre Julian Assange par la main et lui dire « vient on se casse, on laisse tous ces tarés à leur cirque absurde » ! Et on part ensemble, les portes s’ouvrent toutes seules, les agents de sécurité qui sont justes des salariés prolétaires nous font une haie d’honneur car ils n’ont plus d’employeur à qui obéir et avec nos amis nous quittons ces lieux et ce pays le plus vite possible !

Mais hélas le cirque continue : l’accusateur exige du témoin de réfléchir s’il est juste de révéler les secrets qui mettent en danger la « national security ». La sécurité nationale n’a pas de sens en Français. La Nation est une entité qui ne peut être mise en danger, la Nation est une communauté d’humains qui créent un Etat pour assurer sa sécurité. L’Etat n’a pas d’existence ontologique c’est un outil… Mais ici on est dans un débat ésotérique américano-américain. On n’est pas, plus en Europe. Aucun des concepts philosophiques de notre histoire n’a sa place. J’assiste impuissante à la discussion américano-américaine s’il est permis de torturer pour assurer la « national security ». Le simple fait de poser les termes du débat est une justification de la torture et normalement il devrait être interdit ici sur notre continent qui a subit le nazisme et deux guerre mondiales de PENSER même en ces termes ! La torture est un crime, point barre !

Mais ici, à la City des banquiers, qui n’est pas la même entité juridique que l’Etat Grande Bretagne qui a si courageusement combattu le nazisme, on débat si la torture peut quand même être justifiée. L’avocat Smith essaye de minimiser la « faute» de Julian Assange en arguant que seuls un très petit nombre de noms de collaborateurs a été publié par Wikileaks. Dans la salle 9 une très vieille climatisation poussée à fond crache sur nous un air froid et possiblement surchargé de germes. Je me couvre avec mon sac de couchage. Même les journalistes en bas du balcon ont froid.

Baraitser interrompt le procureur et une pause de 5 minutes a lieu. On la reconnait au fait que le témoin quitte son pupitre, et la pause finit quand il reprend sa place. Mark Summers reprend la parole. Il reparle des « dark prison, assassination, rendition » et demande si la révélation de ceci est un « public interest ». Oui répond le témoin, ce sont les preuves des activités criminelles de mon gouvernement ! Puis le débat se recentre sur ce dont Julian Assange est réellement accusé, de « conspiration en vue d’obtenir des documents secrets », auxquels Summers rajoute les « rules of engagement » euphémisme des militaire américains pour désigner les permis de tuer les civils qu’ils accordent à leurs soldats en toutes circonstances. Assange a-t-il juste reçu ou a-t-il cherché à obtenir les documents diplomatiques ? Telle est la problématique « accusatrice » alors que personne ne cherche à définir ce qu’est un « complot », « une conspiration, » terme existant en droit pénal européen pour des crimes de sang ou des attentats. On n’a pas encore vu en Europe de complot en vue de publier des textes… Mais cette cérémonie conjointe américano-City of London est en train de créer un dangereux précédent sur notre continent !

Le procureur somme le témoin de présenter son CV, mais Baraitser les interrompt et décide de la pause. Nous devons reprendre à 14 heures. J’attends que l’écran s’éteigne. J’écoute les participants du « bas » discuter en Allemand. Ils ne sont pas obligés de quitter les lieux. L’agent de sécurité nous fait sortir. Nous repassons devant la salle 10. J’aimerais tellement y entrer ! En sortant l’agent de sécurité du portique nous assure que nous serons les premières à entrer à nouveau.

Nous quittons les lieux pour un déjeuner dans notre appartement. La décision est prise de continuer, même s’il semble juste que nous cédions au moins une place à ceux qui attendaient après nous. Les fameux VIP ne sont évidemment pas venus mais contrairement à la veille les agents n’ont pas voulu accepter 3 personnes de plus malgré les 38 sièges vides de la galerie ! Nous sommes de retour avant 14 heures. Deepa est déjà devant la porte. Nous décidons de laisser entrer ma collègue polonaise. Elle restera jusqu’à la fin et je l’attendrais dehors dans la manifestation. Avant 14 heures la famille Shipton arrive devant la porte. Je saisis l’occasion pour demander poliment à John Shipton ce que Julian Assange a dit lorsqu’il a protesté, puisque nous n’entendions rien de ce qu’il a dit. Shipton me regarde d’un air stupéfait comme s’il n’avait pas assisté à cette scène . J’insiste ! Assange dit une phrase, Baraitser l’a admonesté, il a bien dû entendre, il était aux premières loges, salle 10 ! L’homme me regarde encore d’un air ahuri et me demande qui je suis. Je me présente, je lui rappelle que j’étais présente à toutes les audiences depuis octobre 2019, sauf pendant le lockdown. Je lui rappele qu’on a discuté le 14 août à la Westminster. Je lui présente ma collaboratrice polonaise. Je n’en tirerai rien au sujet de la phrase d’Assange ni sur aucun autre sujet. Soit il a dormi, soit ce n’était pas lui qui était salle 10, car je ne vois pas pour quelle raison il devrait garder secrète la phrase protestatrice de Julian Assange!

Nos amis sont rassemblés au pied de l’immeuble en verre qui fait face à la Old Bailey. Ils ont beaucoup de chance de ne pas être virés de ce lieu privé. Les policiers de la City of London sont devant la porte d’entrée. Je parle avec l’officière qui a été si affable avec nous. Des camions livrent du matériel par la porte cochère près du passage Warwick ce qui me permet d’apprécier la profondeur des immenses souterrains sous le bâtiment de la Cour. A 17 heures c’est fini. La famille Shipton sort du passage Warwick. Pendant que John est entouré des caméras, Sullivan, Eliot et Esther se pressent pour quitter les lieux par le passage à côté de l’hôpital St Bartolomeus au nord de la Old Bailey. MC McGrath apparait dans la rue, je suis étonnée de voir là le jeune hacker. Nous essayons comme hier d’apercevoir Julian Assange par la fenêtre du fourgon, mais l’affaire est pliée encore plus vite que la veille. Un seul fourgon sort, puis les policiers de la City lèvent le camp. Il n’y a pas de photo. Le quartier redevient rapidement désert et nous partons nous reposer.


Mercredi 9 septembre 2020

Julian Assange face à la Famille

Le troisième jour nous sommes devant la porte encore plus tôt que la veille. Je suis confiante. Jamie a perdu sa course imaginaire. Deepa tient la porte pour Rebecca Vincent à qui je cèderai moi-même la place à midi. De 5h30 à 10h cela nous laisse le temps de discuter à trois de la situation politique en Europe, de l’histoire de la Révolution Française et du système de Vienne encerclant la France pendant tout le 19 siècle révolutionnaire. Nous nous interrogeons sur la persistance du système féodal sur le territoire de la Grande Bretagne avec cette enclave de banquiers et de multinationales qui fonctionne comme une mafia d’intérêts privés parasitant les Etats et se riant de leur souveraineté.

Vers 9h30 une jeune fille blonde habillée de noir de style « années 80 le renouveau » vient frapper à la porte. L’agent de sécurité de l’escalier est l’homme âgé du lundi. Elle est une victime qui doit témoigner dans un des vrais procès de la Criminal Court. L’homme la renvoie vers la porte de la rue ou quelques personnes attendent. On est loin des foules du lundi. La cour ne semble pas fonctionner à plein régime, il n’y a quasiment plus de familles qui viennent. La femme revient et lui répète qu’on la renvoie d’un endroit à un autre et qu’elle ne comprend pas en tant que victime comment le tribunal peut dysfonctionner ainsi. La deuxième fois elle pleure devant nous. Rien que venir ici est éprouvant, nous le comprenons, cette attente dehors n’en est que plus injuste et incompréhensible.

A 10h l’agent appelle la Famille : John, Sulivan, Eliot Shipton, Esther et Craig Murray entrent devant nous. Puis il nous désigne, ma collègue et moi. Nous ne perdons pas de temps, cette fois ci nous avons laissé nos téléphones et appareils photos à la maison. Le passage dans la boite anté-divulienne de détection de métaux est rapide, la pression sur les salariés est aussi bien moindre, l’agent de sécurité est donc moins sévère. Je cours dans les escaliers au 4 étage précédée par ma collègue. A mon arrivée la Famille est déjà dans la salle 10. Nous entrons dans le couloir et un agent de sécurité black, masqué, vêtu de blanc, nous demande « vous venez pour le procès dans quelle salle » ?

Je ne lui mens pas en répondant « Court Room 10 ». Alors il nous ouvre la porte du sésame. Nous entrons tout naturellement et nous nous asseyons dans la 3ème rangée juste au-dessus des Shipton, d’Esther et de Craig Murray, assis dans la 2ème rangée de la galerie du public. Je regarde je fais vite un croquis des lieux.

La salle semble être une salle jumelle de la numéro 9 mais en fait elle est différente. Bien plus petite, plus sombre, toute en ambiance feutrée, aux lumières tamisées, fauteuils de cuir rouge sombre et de meubles en bois foncé. L’absence de fenêtres rend le lieu confiné et étouffant encore plus que dans la salle 9 qui garde une allure de salle de classe ou d’université. Ici il y une ambiance lourde, chargée de cérémonie, comme dans une église. La disposition est inversée : Le box des accusé se trouve à gauche, l’estrade du juge à droite. C’est bien, je serai en position stratégique pour voir Julian Assange.

J’observe ce qui se passe pendant bien 20 minutes. Je finis par croire que ce n’est pas une erreur, qu’on nous a bien laissé entrer dans le Saint des Saints et que c’est une décision juste et honnête. Je suis presque convaincue que nous allons pouvoir passer la matinée ici. Les présents ne font pas attention à nous sauf Craig Murray qui tourne la tête vers moi et me sourit. Il faut dire que depuis 1 an je finis par faire partie de l’environnement à défaut de faire partie de la Famille.

Je réalise donc que ce que je vois est ce qui aurait dû rester caché aux yeux du public. A la Woolwich Court en février le public voyait toute la salle sauf ce qui se trouvait sous le balcon de la galerie du public mais n’entendait RIEN sans micro car la galerie était séparée de la salle avec une vitre blindée. C’est ainsi que j’ai pu VOIR alors Julian Assange se révolter, se lever, crier, invectiver les présents, leur parler, mais je n’ai rien pu ENTENDRE . Ici je suis plongée dans la véritable ambiance car aucune vitre ne me sépare des protagonistes du jeu.

Et en bas l’atmosphère est très différente de celle d’un procès. Les acteurs du jeu devisent entre eux tranquillement dans une atmosphère détendue. Ils se connaissent tous, ils font partie de la même bande, organisation, que sais-je, ils rigolent entre eux, ce qui contraste avec la lourde et sérieuse ambiance de la salle. Je vois très bien Fitzgerald et Summers aux côtés de Lewis et de Clair Dobbin. Gareth Peirce circule entre les tables, place chacun et a l’air de distribuer à chacun un rôle. La jeune Florence Iveson a parlé à des amis à un bout de la pièce et revient à sa place derrière Lewis. Les assistantes de Peirce et la collaboratrice de Dobbin, blonde forte, sont assises dans la dernière rangée juste devant le box vitré et discutent entre elles. Je suis surprise de voir que Baraitser est déjà à sa place surplombant le bureau du greffier (également présent et silencieux) alors que la salle est dans une ambiance de récréation – dans un vrai procès c’est l’entrée du juge qui marque le début de l’audience judiciaire et l’assistance doit se lever pour le saluer. Personne ne se lève au passage de Baraister car ici la juge semble être ici un élément du décor et non pas une dépositaire de l’autorité de l’Etat et du Droit. Il est vrai que nous ne sommes pas dans un Etat, mais dans une organisation privée, une guilde de marchand datant du Moyen Age et Baraitser n’est pas juge ici, à la Criminal Court. On se demande qui elle est, alors qu’il est impossible de trouver la moindre information sur elle. Sa famille existe belle et bien : Michael Baraitser, Lisa Baraitser, Paula Baraitser sont propriétaires de diverses entreprises à voir sur Beta Companies https://beta.companieshouse.gov.uk/search/officers?q=Baraitser mais Vanessa semble n’avoir aucun existence sociale autre que l’affaire Assange.

Dans la rangée perpendiculaire à Baraitser, à sa droite au fond de la pièce je distingue Alastair Lyon, une femme brune à la veste verte et un homme roux. Ils attendent tranquillement.

Mais le plus surprenant se trouve en face de moi et c’est la partie que je n’aurais jamais dû voir si je n’avais pas eu la possibilité d’être là en face de ces gens en chairs et en os, car la camera ne montre JAMAIS cette partie de la salle. En face de moi, perpendiculaire au box des accusés se trouvent 3 rangées de fauteuils dans lesquels ont pris place Joseph Farell en veste rouge, tout à droite et MC McGrath ! Joseph Farell en tant « qu’ambassadeur de Wikileaks » ne devrait pas se trouver ici car il est une partie prenante du procès ! En plus, les discours sur « on ne peut pas parler ni rendre visite à Julian Assange » se trouvent immédiatement invalidés par la présence de Farell ici dans une ambiance de récréation avant la reprise des leçons où Farell voit Assange tous les jours pendant 3 semaines à 3 mètres de lui ! MC McGrath qui est hacker et informaticien américain fait visiblement partie de la « famille » du projet « Wikileaks » mais on ne peut pas imaginer qu’une personne lambda comme lui puisse assister dans la salle du tribunal si ce procès était un vrai procès !

Et surtout derrière eux je vois bien Stella Moris en robe rouge foncée discuter gaiement avec sa copine Jenifer Robinson en robe rouge écarlate également. (Robinson portait le premier jour une robe verte, comme en février à la Woolwich et deux robes rouges de plus en plus vermillon éclatantes le deuxième et troisième jour, pas une tenue d’avocat donc). A gauche de Robinson est assis un jeune homme roux ressemblant à Nathan Fuller, directeur de la Courage Corp, entreprise américaine sise à New York.

Les deux amies rigolent en se parlant, elles semblent heureuses d’être ensemble ici et insouciantes. Le comportement de Stella Moris me stupéfait : alors qu’elle vient de jouer les épouses éplorées dans son storytelling larmoyant à Paris Match et devant la grille du 10 Downing Street, je la vois ici détendue et satisfaite de sa performance . Je la vois ne pas montrer la moindre émotion face au sort qui attend Julian Assange dont elle clame être la femme chérie. Elle ne montrera pas non plus aucune émotion, aucune compassion lorsque Julian Assange entrera dans la pièce. Je la vois assister au procès de Julian Assange comme à un spectacle, une cérémonie, dont elle est une partie prenante . Si elle avait été sa « famille » alors elle aurait dû être avec nous à la place de la famille, dans la galerie du public.

En plus, me dis-je, elle est là tous les jours à rigoler en le regardant pendant des heures et elle raconte au monde entier son mensonge qu’elle ne peut pas le voir et ne l’a pas revu depuis des mois… Tout comme elle avait tant menti sur les audiences du 27 février alors qu’elle ne lui parlait pas et n’a jamais encouragé et soutenu sa révolte face au sacrifice qu’on lui inflige.

Cette fois ci j’ai vraiment le sentiment d’assister non pas à un procès mais à un sacrifice. Une espèce de mise à mort rituelle de ce qui a été beau et bon – le projet de liberté d’expression totale mais aussi l’homme Julian Assange endossant ce projet malgré lui. Car Wikileaks est présenté comme quelque chose de bien – mais sacrifie-t-on quelque chose de mauvais ? Non seuls un animal beau était sacrifié dans l’Antiquité, un homme bon comme Jésus a été sacrifié, une BELLE idée comme la liberté d’expression est en route vers le sacrifice…. Sacrifier quelqu’un de laid et de mauvais n’aurait pas de sens !

Certes, il a été nécessaire de salir au préalable Julian Assange par une campagne planétaire le traitant de violeur narcissique, mais Jésus aussi avait d’abord été moqué comme imposteur et faux prophète avant d’être tué. Et je ne trahis pas la pensée de Julian Assange car lui-même a mentionné Jésus comme « premier lanceur d’alerte sacrifié » dans un discours combien prémonitoire en juillet 2009 en Allemagne.

Je comprends alors que je me trouve comme dans ces familles patriarcales ou on décide dans une réunion du rituel du « crime d’honneur » : la famille doit sacrifier un membre qui a « fauté » pour garder le secret familial, la cohésion et le pouvoir de la structure. En tant que militante féministe et femme qui a dû lutter pour m’émanciper je ne comprends que trop bien la structure de pouvoir d’une telle famille sectaire. Il ne faut surtout pas imaginer que les membres de la famille détestent le membre sacrifié : au contraire, on l’aime c’est pour cela qu’on le tue. Pour son bien. Parce qu’il n’a pas d’existence propre, n’est qu’un membre de la famille. Sauver la famille en le tuant c’est le sauver lui, sauver son âme.

Stella Moris clame à qui veut entendre que Julian Assange va se suicider et qu’il a demandé l’absolution des mourants à un prêtre catholique. Premièrement, une extrême onction n’est administrée réellement qu’au mourants par l’Eglise catholique et Julian Assange est bien vivant, comme je le verrai tout l’heure. Deuxièmement, pour obtenir une absolution catholique il faut encore traverser les sacrement de la confession, de la communion et du … baptême, il faut donc encore être catholique ! Et troisièmement l’Eglise catholique interdit le suicide, elle ne saurait donner l’absolution à quelqu’un qui déciderait de pécher en s’ôtant la vie ! Pour moi, Polonaise élevée dans le catholicisme, ce storytelling- là ne passe pas du tout !

Cette femme qui ment publiquement se trouve alors ce mercredi 9 septembre à 10 heures en face de moi dans la salle 10 de la Old Bailey et elle se prépare à une partie importante d’une cérémonie. En me rappelant ses paroles sur le « suicide » de Julian Assange je me demande si ce qu’elle annonce ne sera pas plutôt un meurtre . Un meurtre rituel, un sacrifice : un homme qui a fauté, qu’il faut punir, une idée qu’il faut tuer. Je frémis en regardant de près la robe noire constellée de petits fibres rouges de la femme : le bourreau, tout comme le sacrificateur, porte le rouge, couleur de vie et de mort, couleur de la passion.

Brusquement le silence se fait et tous les yeux se tournent vers la porte au fond du box des accusés : je vois Julian Assange entrer par cette porte du fond qui se trouve en face de moi et traverser le box, entouré de deux hommes en blanc, jusqu’à une chaise au centre. Je le vois très bien, je ne l’ai jamais vu d’aussi près, il est à 5 mètres de moi et derrière une seule vitre. Je suis placée en hauteur, je vois très bien sa tête, son visage et le haut de son corps.

Il porte une chemise blanche et une veste bleu sombre ainsi qu’une cravate noire et rouge, du même tissu que la robe sombre de Moris. Je vois bien le sommet de sa tête, ses cheveux blancs sont coupés, mais ils ne sont tout à fait coiffés. Il porte ce masque en papier qu’on nous impose aussi en France rituellement. Mais si le masque cache sa bouche, je vois bien ses yeux. Il est moins maigre qu’en février, moins voûté que le 21 octobre. Sa démarche est assurée, il n’est pas vacillant ou dodelinant comme j’ai pu le voir sur les vidéos de la Westminster. Au contraire, son entrée ne manque pas de panache : on dirait que c’est paradoxalement lui le maitre de cérémonie, ce n’est que lui qu’on attend. Comme le 27 février c’est lui qui donne le ton par son comportement. Comme si sans son accord, sans son adhésion la cérémonie du sacrifice n’était pas valable.

Assange arrive au centre du box puis pivote et enlève alors son masque. Je vois son visage, ses yeux bleus gris, son expression profondément triste mais pas abattue. Ses yeux portent des cernes, moins profondes qu’il y a un an, mais il a des cernes sous les cernes. Son visage est glabre, ses traits un peu bouffis et son teint est aussi pâle que le 26 et 27 février au matin. L’expression de ses lèvres crispées fait penser à un enfant qui aurait été battu et retiendrait ses larmes…

Alors la porte de la galerie s’ouvre et l'agent de sécurité nous appelle pour sortir. Je ne réagis pas, je laisse ma collègue parlementer pour gagner du temps. Je regarde Julian Assange qui enlève son masque. Il me regarde et nos regards se croisent. C’est fini, ils ne me laisseront pas rester. Mais alors je me lève et je suis visible de loin dans mon habit violet. Je lève le poing droit, mon chapelet polonais autour de ma main. Assange m’a vue.

Je sors à regret. Dans le couloir l’agent de sécurité nous sermonne longuement. On a commis un sacrilège, on lui a menti, nous devions aller dans la salle 9… D’emblée je m’excuse, je lui dis que je regrette qu’il puisse perdre son boulot à cause de nous, qu’on pensait qu’on avait le droit de venir dans la salle 10 car sa collègue nous l’avait annoncé la veille. Il me reproche d’avoir fait un signe à l’accusé. Pas du tout, je récuse, j’ai juste ajusté le chapelet qui me tombait de la main. Il semble accablé et dit qu’il va discuter de notre sort avec son chef, talkie à la main. On n’entend pas ce que le chef lui dit, mais j’en profite pour changer de ton. Je lui dis que je représente une association des droits de l’homme, que nos destins en Europe sont suspendus à ce procès. Qu’il est illégal de ne pas pouvoir voir le visage de l’accusé, un homme enfermé dans des oubliettes comme au Moyen Age que personne ne peut voir, que nous avons écrit 10 demandes de libération et 3 rapports médicaux, qu’Assange est torturé et que nous devons témoigner de son état de santé…

Je ne sais pas si l’entreprise de sécurité privée est sensible à la question des droits de l’homme, mais son salarié nous permet finalement de nous rendre à la salle 9. Pendant 2 heures j’ai tout le loisir de réfléchir à ce que j’ai vu tout en observant le déroulé du storytelling pseudo judiciaire. Pas une seule fois la caméra ne montrera Assange.

Dans la salle 9 il y a encore moins de monde qu’hier. Heike Hänsel, un jeune homme à sa gauche, l’homme de l’ambassade allemande, les deux journalistes allemands, la femme brune en vert, Hamish Hamilton, Rosie Sylvester - 8 personnes. Le professeur Rogers est interrogé comme témoin en vidéo. Il raconte la saga Wikileaks selon lui : les publications de Wikileaks auraient prouvé que les Etats Unis ne contrôlaient pas l’Afghanistan tandis qu’en Irak Wikileaks aurait permis de rajouter 15 000 morts civils à l’estimation de l’ONG britannique « Irak Body Count » - (je connais le travail de cette ONG pour avoir en 2005 co-organisé la Conférence de l’Association du Droit Humanitaire International au Parlement Français ou l’avocat William Bourdon a présenté l’estimation des 100 000 morts civils en Irak. C’est dire si les Européens n’ont pas attendu Wikileaks pour critiquer l’invasion de l’Irak par les Etats Unis).

La question posée par la suite est « Julian Assange a-t -il une opinion politique, lui qui a failli être nominé au Prix Nobel, a été le héraut de la liberté d’expression, et a mené des discours au Trafalgar Square en 2011 lors du mouvement Occupy London ? (comme ces temps paraissent ancien à l’aune de la dictature que nous vivons…°). Oui, répond le professeur - Wikileaks est connu en Afghanistan et Irak pour ses positions politiques et Assange a été porteur du succès de Wikileaks en apportant l’attention du public sur ces guerres. Wikileaks a été nécessaire pour les Droits de l’Homme, la transparence, la responsabilité.

C’est sûr qu’on ne sacrifie que ce qui est Bon et Beau. Au vu de l’état actuel des Droits de l’Homme dans ce procès, on n’a pas l’impression que Wikileaks ait été très efficace. En tout cas j’aurais préféré que Wikileaks n’ait jamais existé, que tous les accusés aient droit à des procès transparents et au soutien d’association des Droits de l’Homme, que la liberté de circulation en Europe soit garantie, que des milices privées ne nous arrêtent pas en pleine rue ou en plein champs pour nous accuser de terrorisme et ne nous forcent pas à des expérimentations médicales sur nous… Voilà l’état réel des droits de l’hommes et non pas en Irak mais au cœur de l’Europe, 10 ans après Wikileaks.

Summers et le professeur Rogers discutent longuement du rôle de Trump dans la liquidation de la liberté d’expression, faisant l’impasse sur le fait que c’est bien Obama, dont le pouvoir est simultané avec l’apparition du projet Wikileaks, qui a enclenché les poursuites contre Assange. Le but est de prouver qu’Assange ayant des opinions politiques, les poursuites sont motivées politiquement et donc justement l’extradition ne devrait pas être possible. Je crois que comme la City of London Corporation n’est pas un Etat et n’est donc pas liée par le traité d’extradition signé par la Grande Bretagne, tout transfert d’Assange de ce territoire vers les Etats Unis ne peut être appelé qu’un enlèvement ou rendition.

Le procureur somme le professeur d’expliquer ce qu’est que la politique et le journalisme et si un journaliste doit avoir des opinions politiques. Sur le continent d’Aristote, d’Erasme, de Locke, de Rousseau la réponse à la question « qu’est-ce que la politique » est forcément longue et argumentée. Mais le procureur exige que le professeur réponde par oui ou par non et le débat tourne court. Je suis fatiguée par ce débat entre Américains plat comme un désert sans relief et dont l’histoire et l’expérience des Européens est exclue alors que cette réunion étrange a bien lieu sur notre continent et nous concerne au plus haut point. Le procureur pose la question « Peut-on tout dire ? Être transparent même contre la sécurité des individus » ? Mais ce débat me semble une discussion autour du sexe des anges, la réponse étant « ça dépend du contexte ».

Justement, je dois prêter attention à un des contextes cités. Le procureur accuse Julian Assange d’avoir dit le 8 août 2011 que « l’invasion allemande de la Pologne le 1er septembre 1939 est un mensonge construit par les catholiques ». Je n’ai jamais entendu Assange dans aucune apparition publique dire une stupidité pareille, ou alors il l’aurait dit en privé et il faudrait que le procureur le prouve, l’homme accusé étant interdit de parole et ne pouvant se défendre. Le procureur accuse donc Assange de négationnisme historique, accusation grave en Europe lorsqu’il s’agit de faits liés à la dernière guerre mondiale qui a détruit notre continent. Dans le discours que j’entends ici, ce procureur veut faire dire au témoin « qu’on ne peut tout dire » et qu’une limite doit être mise à la liberté d’expression. Ceci est une question effectivement importante tranchée par les tribunaux après débats contradictoires et selon une législation différente pour chaque pays européen. Pour ma part, en tant que Polonaise, je serais choquée si j’entendais quelqu’un dire une phrase aussi absurde que « l’invasion de la Pologne par les Hitlériens n’a pas eu lieu le 1 septembre 1939, c’est un mensonge des catholiques » (et je suis convaincue que Julian Assange n’a jamais prononcé cette phrase) mais plutôt que de chercher à interdire de la prononcer, j’inviterais mon interlocuteur à venir visiter Varsovie, ville anéantie par les nazis et le Mémorial d’Auschwitz pour voir les preuves des crimes des nazis commis dans mon pays. S’il n’est pas convaincu, les Russes, Biélorusses et Yougoslaves se chargeront de lui faire visiter d’autres nombreux lieux de martyre des populations d’Europe de l’Est que les Hitlériens avaient placées en premier sur leur liste de peuples à exterminer.

Je ne peux saisir comment le professeur Rogers se sort du piège tendu par le procureur. La dernière charge de celui-ci porte sur « criminal justice or political persecution », le professeur pense-t-il que les accusations portées contre Assange sont politiquement motivées ? Ou bien les accusations portent-elles sur des crimes ? Le professeur répond « je ne suis pas avocat mais spécialiste des sciences politiques ». Puis à la question « Pensez-vous qu’il existe une preuve que Manning et Assange ont commis des crimes », il répond « je le lis dans l’accusation ». Le mélange de « politique » et de « crimes » est une confusion très dangereuse pour nous. Si faire de la politique devient un crime, alors nous serons tous des criminels demain et il ne restera plus rien de notre démocratie déjà quasiment en liquidation ! Le mot politique vient de Polis, "cité". Celui qui fait de la politique se soucie de la bonne gestion d’une cité. C’est tout, sauf un crime. C’est un droit et un devoir ! En outre le niveau de débat philosophique me semble très bas dans cette salle et la parole donnée au professeur bien limitée.

La climatisation antique crache sur moi son air froid et vicié. J’en ai assez vu. Je rêve de revenir dans la salle 10 mais seule cela me parait trop risqué. Je décide de partir en laissant à ma collègue le soin de finir le travail. Lorsque je sors dans le couloir je dis à l’agent de sécurité que je laisse ma place aux autres associations. L’homme me dit alors « vous ne rentrerez pas demain ». Je lui réponds que je comprends les contraintes de son emploi, que je fais un travail similaire en France, mais que le respect des droits de l’homme nous concerne tous ou nous allons tous périr. Et je rajoute « nous allons voir demain ». Arrivée en bas de l’escalier le vieil agent de sécurité ne veut pas me laisser sortir. Il me reproche mon passage dans la salle 10 et met ses gants en me disant de m’arrêter. Je me sens vaguement menacée. Je m’excuse mais je rajoute qu’il était nécessaire de voir l’accusé qui a droit à un procès équitable, un procès à huis clos secret est illégal. Je lui parle de la guerre que les Américains préparent en Europe en se servant de mon pays, la Pologne, contre la Biélorussie, des prisons secrètes ou les gens sont torturés, que si Assange est extradé, nous les militants qui sommes contre la politique guerrière des Etats Unis sommes les prochains sur la liste…

L’homme me permet finalement de sortir. Je me sauve tout en lui souhaitant bon courage dans son boulot de prolétaire que je ne connais que trop bien. A ma sortie je signale à Rebecca Vincent que je ne reviendrai pas l’après-midi et qu’elle peut prendre ma place. Elle est contente et cela me semble fair aussi.

Ma collègue polonaise sort pour la pause midi et me raconte qu’elle a pu revoir Assange par la porte entre-baillée de la salle 10. Jenifer Robinson dans sa robe rouge écarlate lui expliquait quelque chose avec force gesticulations. Julian Assange lui souriait mais ne semblait pas convaincu. Avait-il décidé de se révolter à nouveau ?

Le lendemain nous serons tôt dans le passage Warwick mais Jamie et Sandra ont dormi sur des cartons devant la porte et nous précèdent, très satisfaits d’eux. Mais ils ont fourni ces efforts pour rien car à 10 heure le procès est ajournée pour 11h30. A midi les séances du jeudi 10 et vendredi 11 septembre sont annulées. Le covid est évidemment déclaré coupable mais je me demande si Julian Assange encouragé par notre présence n’a pas encore sonné la révolte.

Le temps de la révolte est plus que nécessaire.

Extrait de la demande de libération envoyée par Wikijustice Julian Assange aux parlementaires britanniques et américains

Julian Assange est jugé dans une Cour qui ne dépend pas du Ministère de la Justice de la Grande Bretagne, mais dans un lieu privé appartenant à une enclave juridiquement indépendante de la Grande Bretagne en tant qu’Etat et n’ayant pas de lien diplomatique avec les Etats Unis car la City of London Corporation, en tant que corporation, guilde, association d’hommes d’affaires n’est pas un sujet de droit international et ne peut donc pas signer des traités avec des Etats. Le traité d’extradition de 2003 entre la Grande Bretagne et les Etats Unis ne s’applique donc pas à ce territoire et il ne peut servir de base juridique à la rencontre qui a lieu à partir du 7 septembre 2020 entre Julian Assange et ceux qui le maintiennent en captivité et veulent décider de son sort.

Par conséquence, la demande d’extradition des Etats Unis ne s’appliquant pas à ce territoire et ne pouvant être traité dans ce bâtiment privé qu’est la Old Bailey, Julian Assange doit être considéré sur le territoire de la City of London comme un otage et immédiatement rendu à sa dignité d’homme libre.

De plus des banquiers et hommes d’affaires qui sont propriétaire de ce bâtiment et gérant de ce territoires n’ont aucun droit à juger un homme Julian Assange car ils ne sont pas juges dans le système juridique de la Grande Bretagne. En outre, leurs intérêts privés sont liés aux grandes entreprises américaines, chinoises et britanniques. Une justice sous leur responsabilité ne peut être qu’entachée de partialité. En aucun cas ils ne peuvent être les garants d’un fair trial.

Aucune institution privé ne peut juger un homme. C’est la prérogative des Etats souverains qui doivent respecter la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Les institutions privées doivent être soumises à la Loi des Etats et respecter les Lois internes de chaque pays. La City of London Corporation est une anomalie dans le système de droit international et elle n’a pas le droit d’usurper les prérogatives des Etats souverains. Par conséquent, nous considérons que Julian Assange n’est pas un prisonnier en Grande Bretagne en attente d’un jugement d’extradition demandé par les Etats Unis mais un otage d’une organisation privée, la City of London Corporation. Une organisation qui détient une personne prisonnière est une organisation criminelle et doit être poursuivie. Nous demandons aux Etats souverains de poursuivre la City of London Corporation dont Julian Assange est l’otage afin que Julian Assange soit libéré de cette captivité illégale.



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